Résumé : La cellule ß pancréatique sécrète l’insuline, la seule hormone capable de diminuer la concentration en glucose plasmatique. L'insuline est sécrétée de manière régulée sous l’influence de divers stimuli dont avant tout l’élévation de la glycémie, celle-ci augmentant lors de chaque repas. Elle est donc essentielle à la préservation de l'homéostasie du glucose. Son importance est attestée par le développement du diabète sucré et de ses complications sévères et parfois mortelles lorsque sa sécrétion est supprimée ou insuffisante et/ou lorsqu'il existe un défaut de son action.La cellule ß est une cellule excitable, c'est à dire capable de moduler son potentiel membranaire très rapidement en variant certaines conductances ioniques (Dean & Matthews 1968; 1970a; 1970b). En réponse à une élévation du glucose extracellulaire, la cellule ß se dépolarise et génère des potentiels d’action qui aboutissent à une augmentation du calcium cytoplasmique induisant la libération d’insuline par exocytose. La succession des différentes étapes menant à cette sécrétion régulée d'insuline est complexe, souvent désignée sous le vocable de couplage stimulus-sécrétion. Elle commence par une augmentation de l’entrée du glucose et de son métabolisme dans la cellule ß. L’augmentation de la concentration en ATP (ou du rapport de concentrations ATP/ADP) qui en résulte, entraîne la fermeture des canaux potassiques ATP-sensibles (KATP) avec une dépolarisation partielle de la membrane. Toutefois la fermeture de ces canaux ne semble pas suffisante pour expliquer la dépolarisation membranaire observée sous l’effet du glucose et une dépolarisation supplémentaire est nécessaire pour arriver au seuil d’activation des canaux calciques voltage-dépendants ou Cav (Gilon & Rorsman, 2009). Un efflux de Cl- de la cellule ß est déclenché lors d’une stimulation au glucose (Sehlin 1978; Sehlin 1987), proportionnellement à la concentration de glucose entre 5 et 20 mM (Malaisse et coll. 2004). Une diminution de la concentration en Cl- du milieu extracellulaire (à 10 mM ou moins) réduit fortement la sécrétion d’insuline (de 70 % ou plus avec 10 et 20 mM de glucose) et affecte l'activité électrique, inhibant voire abolissant les salves de potentiel d'action d'îlots de souris (Sehlin 1978; Sehlin & Meissner, 1988). L’ion chlorure joue donc un rôle essentiel dans l'activité électrique et la sécrétion d’insuline des cellules ß sous l'effet du glucose. Les travaux qui constituent l'objet de cette thèse sont consacrés à caractériser le transport membranaire des ions Cl- dans les cellules ß ainsi que sa régulation et particulièrement le rôle d’un canal Cl- récemment identifié et cloné: l’anoctamine1 (Ano1 ou TMEM16A).Au chapitre 3, nous démontrons l’expression de transcrits d’Ano1 par transcription inverse et amplification en chaîne par polymérase (RT-PCR) chez l'homme et le rat ainsi que l’expression de la protéine par western blot et immunohistochimie chez le rat. Sur coupe de pancréas, un marquage pour Ano1 est observé dans les îlots et dans les cellules acinaires du pancréas exocrine. La spécificité du marquage est attestée par sa disparition lors de l'addition d’un peptide compétiteur (Ano1 exogène). Nous avons démontré en patch-clamp la présence d’Ano1 actif dans la membrane des cellules ß: i) Nous avons observé des courants typiques d'Ano1 dans des patchs de cellules ß de rat entières et excisés inside-out en présence de Ca2+ intracellulaire: à 1 µM, le courant Cl- est rectifiant sortant et à 2 µM il devient presque linéaire. ii) La relation amplitude unitaire-voltage des courants Cl- unitaires activés par le Ca2+ est linéaire et montre une conductance de 8,37 pS, correspondant exactement à la conductance décrite pour Ano1. iii) Les perméabilités relatives des anions monovalents sont NO3- (1.83 ± 0.10) > Br- (1.42 ± 0.07) > Cl- (1.0), compatibles avec celles d'Ano1. iv) Ces courants sont quasi abolis par des anticorps Ano1-bloquants ou par deux inhibiteurs d’Ano1, 2-(5-éthyl-4-hydroxy-6-méthylpyrimidine-2-ylthio)-N-(4-(4-méthoxyphényl)thiazol-2-yl)acétamide (T-AO1) et acide tannique (TA). Ayant démontré la présence d'Ano1 fonctionnels au niveau de la membrane des cellules ß, nous avons investigué l'implication d'Ano1 dans la dépolarisation membranaire induite par le glucose. Cette étude a été réalisée en patch-clamp perforé sur des cellules ß d'îlots entiers de souris et des cellules ß dispersées de rat et de souris stimulées par le glucose. Les inhibiteurs d'Ano1 (T-AO1 et TA) induisent une forte diminution de la fréquence des potentiels d'action lors d'une stimulation par 16.7 mM de glucose (au moins 87 % sur cellules dispersées) et une repolarisation partielle du potentiel membranaire avec le T-AO1. Ces inhibiteurs abolissent ou inhibent fortement l'augmentation de sécrétion d'insuline d'îlots de rat induite par 8.3 mM et 16.7 mM de glucose. Des anticorps Ano1-bloquants abolissent également l'incrément de sécrétion d'insuline provoqué par 16.7 mM de glucose. Un traitement combiné avec du bumétanide (inhibant l'entrée de Cl- dans la cellule par NKCC1/2) et de l'acétazolamide (inhibant l'anhydrase carbonique V mitochondriale produisant du HCO3- intracellulaire durant le métabolisme du glucose) dans un milieu contenant 20 mM de Cl- et sans HCO3- provoque une réduction de 65 % de l'amplitude des potentiels d'action (AP) avec une repolarisation de 15 mV de leur pic sur des cellules ß dispersées de rat, confirmant l'importance de ces anions dans la régulation des oscillations du potentiel membranaire sous l'effet du glucose. Cette étude démontre que l'ouverture d'Ano1 est nécessaire pour permettre les oscillations du potentiel membranaire stimulées sous l'effet du glucose et la sécrétion d'insuline.Au chapitre 4, nous avons étudié les effets de l'H2O2 sur le canal anionique sensible au gonflement cellulaire (appelé VRAC pour volume-regulated anion channel) dans les cellules ß de rat et de la lignée de rat BRIN-BD11. L'H2O2 produit par une ou plusieurs NAD(P)H oxidase(s) (NOX) a récemment été proposé d'agir, dans plusieurs types cellulaires, comme le signal médiateur de l'activation de ces canaux activés lors du gonflement cellulaire. L'H2O2 exogène (100 à 200 µM) à une concentration de glucose basale (1,1 à 2,8 mM) stimule la sécrétion d'insuline. L'inhibiteur de VRAC, 5-nitro-2-(3-phénylpropylamino)-benzoate (NPPB), également inhibiteur d'Ano1, inhibe la réponse sécrétoire à l'H2O2 exogène. Dans des expériences de patch-clamp, nous montrons que l'H2O2 exogène stimule l’ouverture de VRAC, induisant une dépolarisation du potentiel membranaire et un courant anionique, abolis par le NPPB. L'exposition des cellules BRIN-BD11 à un milieu hypotonique (200 mosmol/l) provoquait un gonflement cellulaire suivi d’un retour vers le volume initial (en 10-15 min) suite à l’activation du canal VRAC, et une augmentation détectable du niveau intracellulaire de dérivés réactifs de l'oxygène (ROS) mise en évidence par l'oxydation du colorant fluorescent 5-(et-6)-chlorométhyl-2',7'-dichlorodihydrofluorescéine (CM-H2DCF). Cette production de ROS est abolie par le chlorure de diphénylèneiodonium (DPI), un inhibiteur de flavoprotéines dont les NOX et certaines protéines de la chaîne respiratoire mitochondriale. Les inhibiteurs de NOX tels le DPI et la plumbagine inhibaient presque totalement l’incrément de sécrétion d'insuline provoqué par l'exposition des cellules BRIN-BD11 au milieu hypotonique. Une préincubation avec les deux drogues suivantes abolit quasiment la sécrétion d'insuline tant induite par l'hypotonicité que basale: i) N-acétyl-L-cystéine (NAC), un précurseur du glutathion qui sert d'antioxydant général et ii) l'acide bétulinique, un composé qui abolit presque totalement l'expression NOX4. Comme le NPPB, chacun de ces inhibiteurs (DPI, plumbagine, préincubation avec NAC ou de l'acide bétulinique) réduit fortement ou abolit la régulation du volume cellulaire observée suite à un choc hypotonique, fournissant une preuve indépendante que l'activation de VRAC est médiée par l'H2O2. L'ensemble de ces données suggère que l'H2O2 produit par une ou plusieurs NOX joue un rôle critique dans la réponse insulino-sécrétoire des cellules ß de la lignée de rat BRIN-BD11 et des cellules ß de rat à l'hypotonicité extracellulaire, via une dépolarisation produite par l'activation de VRAC et une sortie d'anions. L'inhibition de cette dépolarisation produite sous l’effet de l'H2O2 et de l’hypotonicité, ainsi que de la régulation du volume cellulaire observée suite à un choc hypotonique par les inhibiteurs d'Ano1 T-AO1 et TA (100 µM) suggèrent qu'Ano1 est associé à ce canal VRAC ou le constitue ou tout au moins en constitue une sous-unité. Le mécanisme exact entraînant l’ouverture d’Ano1 sous l’effet du glucose n’est pas élucidé. Toutefois à la suite des travaux de Llanos (Llanos et coll. 2015), nous suggérons la séquence d'événements suivante: outre la fermeture des canaux KATP, le métabolisme du glucose produit des ROS qui oxydent et ouvrent RyR2, libérant du Ca2+ des stocks intracellulaires à des endroits localisés près de la membrane cellulaire et d’Ano1 qui est ainsi activé. En conclusion, nos études démontrent que i) l'efflux de Cl- (dépolarisant) de cellules ß murines sous l'effet du glucose dépend de l’ouverture du canal Cl- activé par le calcium intracellulaire (CaCC) Ano1. Le canal Ano1 est activé sous l’effet du glucose et son activation est requise pour induire les potentiels d’action et l'entrée de Ca2+ dans la cellule ß, nécessaires à la libération d’insuline. L'ouverture d'Ano1 semble donc responsable des oscillations du potentiel membranaire en phase active avec potentiels d'action et sa fermeture pourrait participer à la repolarisation des phases silencieuses. ii) l'H2O2 produit par une ou plusieurs NAD(P)H oxydase(s) sous l’effet du gonflement cellulaire, ou du glucose (Pi et coll. 2007, Leloup et coll. 2009), ou encore ajouté de manière exogène est nécessaire à l’activation du canal anionique sensible au gonflement cellulaire VRAC. L'ouverture de VRAC s'accompagne d'une sortie d'anions, dépolarise les cellules ß de la lignée de rat BRIN-BD11 et de rat et provoque une stimulation de la sécrétion d’insuline. Ano1 pourrait être associé à VRAC, le constituer ou en constituer une sous-unité. Le mécanisme déclenchant l'ouverture d'Ano1 reste à élucider.