Résumé : Depuis maintenant près de trois décennies, les parcs des villes chinoise constituent des lieux de rassemblement pour les retraités qui, collectivement, s'adonnent à diverses activités : taiji quan, chorales de « chant rouge », danses, opéra de Pékin, traditionnel et révolutionnaire, pratique collective d'instruments de musique, récitation... Appartenant aux générations qui ont grandi durant la période maoïste, ces individus ont en commun d'avoir vécu la Révolution culturelle (1966-1976) et le passage à la Réforme (1978), avec les transformations qui en ont découlé. A partir d'une ethnographie conduite dans les parcs de Pékin entre 2011 et 2014, cette thèse analyse ces formes de présence en public qui prennent souvent la forme de performances culturelles. A travers des descriptions fines des situations observées, elle montre que les rassemblements dans les parcs peuvent être vus comme des espaces-temps interstitiels, des événements publics à la fois distincts du quotidien et ancrés dans celui-ci, faisant la part belle à des comportements théâtraux, parfois excentriques. Si ces modes de surexposition de soi en public s'inscrivent dans la continuité d'une « politique de la présence », caractéristique de l'époque maoïste, ils font aussi l'objet d'une réappropriation à d'autres fins, dans d'autres espaces-temps. Cette question des transformations du cadre de la performance publique et, par conséquent, de l'expérience que celui-ci implique, figure au centre de ma réflexion. La possibilité de « s'amuser » en prenant part à des activités qui, pour certaines, sont structurées autour de l'expression de messages politiques ne constitue pas seulement un attrait important de ces situations pour les habitués des parcs, elle peut être vue comme un accomplissement. Cette thèse contribue notamment aux travaux portants sur l'appropriation des espaces publics urbains, mais aussi à l'anthropologie de la performance et aux études sur la nostalgie post-communiste. Discutant les interprétations avancées par d'autres chercheurs sur la performance publique de chants révolutionnaires, elle apporte une analyse plus nuancée de la dimension (non) politique de ces pratiques, en insistant sur leurs aspects sensoriels et affectifs plutôt que sémiotiques et discursifs.