Résumé : Depuis plus de 30 ans, de nombreux projets de recherches ont mis en évidence une occupation dense et complexe du bassin lacustre du Titicaca, et en particulier celle de la période Tiwanaku entre le 5e et le 11e siècle de notre ère. Celle-ci sera la première à modifier profondément le paysage lacustre en y laissant une empreinte matérielle indélébile. L’utilisation des plaines, des vallées et des élévations naturelles connectées ou surplombant le lac est donc physiquement marquée par l’occupation de cette culture. Or, l’utilisation ancienne de ces espaces s’arrête-t-elle à la frontière entre la terre ferme et cette vaste étendue d’eau ? Dans le cadre de ce projet de recherche, nous proposons d’élargir - au sens propre et figuré - l’étude de la culture Tiwanaku en agrandissant le territoire usuellement étudié grâce à l’intégration de deux espaces dont l’utilisation ancienne est encore à l’heure actuelle totalement méconnue : l’espace littoral (les côtes) et l’espace lacustre (le lac). La mise en place d’un projet de recherche utilisant les techniques de plongée devenait donc nécessaire et inévitable pour étudier les témoignages matériels directs de l’utilisation du lac par l’homme, et de sa signification pour les populations de la période Tiwanaku. Les conditions naturelles favorables ont motivé les premiers peuplements des rives et des îles, et le lac a progressivement fait partie de l’identité des populations qui s’y sont installées. Que ce soit sur le plan politique, socioculturel ou rituel, le lac a eu une incidence sur l’évolution de ces populations et a favorisé l’émergence de pratiques indissociables d’un espace lacustre. Les géostratégies d’occupation du territoire en sont tributaires, ainsi que les stratégies de subsistance, de vie et de survie, notamment durant les périodes de crise. Sur le plan rituel et sacré, cette « mer intérieure » faisait partie du quotidien et, en tant que telle, a joué un rôle prépondérant dans la relation qu’entretenait l’homme avec l’espace dans lequel il vivait. Il a rationalisé cet espace pour le comprendre (croyances, mythes, etc.), a développé des schémas et des objets symboliques pour le représenter (iconographie, offrandes, etc.), et a créé des rites pour l’entretenir. Dans le cadre de ce projet de recherche, nous proposons principalement d’aborder l’utilisation et la perception de l’espace lacustre Tiwanaku grâce à l’analyse des pratiques d’offrandes subaquatiques de céramiques rituelles de type incensario, en comparaison avec celles attestées sur la terre ferme. Un site d’offrandes sous l’eau ne peut pas en effet être analysé de manière isolée, car il met en évidence des pratiques rituelles du passé en relation avec d’autres espaces non immergés. Les sites d’offrandes représentent par conséquent des espaces d’étude privilégiés, car ils documentent directement la relation de l’homme de Tiwanaku avec son environnement, et en particulier le lac.