Résumé : Dans le système fédéral belge, les matières liées aux personnes sont une compétence communautaire et non pas régionale. Mais ces matières, comme l’enseignement ou la culture, bien que gérées dans un cadre francophone ou néerlandophone sont pourtant des enjeux majeurs pour Bruxelles. Les notes de synthèse du Brussels Studies Institute ont déjà à plusieurs reprises abordé les enjeux de matières essentiellement communautaires dans une perspective bruxelloise, notamment en rassemblant les informations et statistiques pour construire un état des lieux consolidé à l’échelle régionale. Après l’enseignement obligatoire, l’enseignement supérieur et dans une certaine mesure la formation professionnelle, la cinquième note de synthèse publiée dans le numéro 91 de la revue Brussels Studies poursuit dans cette voie en abordant la question de la situation des jeunes enfants, de la naissance à 6 ans.Les circonstances inégales de vie des enfants ont des effets à court, moyen ou long terme qui s’accumulent tout au long de la vie et qui définissent des parcours différenciés. Un niveau inadéquat de ressources économiques, cognitives et de santé à un moment clé risque d’infléchir les conditions d’accès à l’étape suivante, et ainsi de faire croitre progressivement le désavantage social au cours de la vie. Les périodes autour de la naissance et de la petite enfance sont identifiées comme deux de ces moments clés. Un consensus scientifique international existe pour affirmer que l’impact des circonstances de vie de la petite enfance sur la santé de la population adulte justifie amplement la mise en place de politiques ciblant prioritairement les enfants.C’est dans cette perspective, mais aussi dans le souci de s’intéresser aux enfants ici et maintenant, au-delà de leur devenir, que Perrine Humblet, professeur émérite à l’école de santé publique de l’Université libre de Bruxelles a rassemblé une équipe interdisciplinaire, constituée d’académiques francophones et néerlandophones, mais aussi d’experts œuvrant au sein des administrations communautaires. Le fil rouge de leur questionnement est simple : comment replacer les jeunes enfants bruxellois au cœur de l’agenda politique ?Ils relèvent d’emblée le paradoxe dans lequel se trouve la Région bruxelloise : son avenir dépend largement de la manière dont seront corrigés les différents déficits touchant le développement des enfants, alors que les outils principaux relèvent de la compétence de deux communautés : l’ONE ou Kind & Gezin d’une part, et les deux ministères de l’Enseignement d’autre part. Il en résulte une conception administrative scindée de la petite enfance. On rattachait classiquement les services pour les enfants les plus jeunes au secteur socio-sanitaire, et, ensuite, dès l’âge de deux ans et demi au système éducatif via l’école maternelle. Mais aujourd’hui, dans les services de la petite enfance, la fonction éducative est largement reconnue tant par les professionnels que par les parents. Par contre, au niveau du maternel, la dimension du soin est dévalorisée face aux apprentissages scolaires, ce malgré les besoins de ces jeunes enfants.Les inégalités socioéconomiques font qu’une partie des enfants bruxellois ne sont pas dans les conditions nécessaires pour développer pleinement leur potentiel. Le peu de données représentatives de la population régionale au-delà de l’âge de 1 an ne permet pas de porter un diagnostic sur l’ampleur de ces inégalités chez les enfants. Mais l’un des enjeux est assurément de faire en sorte que la croissance démographique n’ait pas pour effet d’accroître l’impact des inégalités sociales sur le développement et la scolarité, car la croissance est forte surtout dans les quartiers et communes où se concentrent les difficultés socioéconomiques... et les jeunes enfants. Des investissements importants ont été consentis pour élargir l’offre de places dans les milieux de la petite enfance et ouvrir de nouvelles écoles. Mais la réaction a visé l’aspect quantitatif du problème, ne faisant parfois, comme dans le cas des crèches, que maintenir le faible taux de couverture des besoins sans l’améliorer. Il s’agit là d’une première étape, mais c’est maintenant la question qualitative du développement global des enfants qui doit aussi être affrontée.Un enfant sur 4 (ou un sur 3 selon l’indicateur) vivant dans une famille précarisée, dont un grand nombre d’enfants vivant dans des familles monoparentales, peut-être jusqu’à 50% d’enfants en situation de plurilinguisme, un retard scolaire observable dès le début des cursus scolaires, un nombre inconnu de familles et d’enfants sans statut légal, sont autant d’éléments qui justifient aux yeux des auteurs un plan d’urgence global pour l’enfance à Bruxelles.Pour mettre en œuvre un plan d’ensemble pour l’enfance, il semble essentiel de clarifier avec transparence et responsabilité quelles instances sont compétentes. Qui, in fine, est responsable, au-delà des opérateurs, du fait que tous les jeunes enfants vivant dans la Région aient un développement harmonieux, une santé optimale et une éducation à la hauteur des défis ? Il est essentiel de s’imposer l’obligation de prendre ses responsabilités, de se donner les moyens d’évaluer les efforts et les résultats allant dans ce sens, et de renoncer définitivement aux modes de pensée qui relèvent d’une logique institutionnelle et communautaire. Il faut remettre l’enfant, quel qu’il soit, au cœur de l’action publique.Une première étape dans cette démarche consiste à créer des lieux de rencontre entre les différents organismes compétents. Ce seraient des lieux où des données peuvent être échangées, où des connaissances peuvent être partagées et où des politiques peuvent être pensées, dépassant les frontières multiples qui aujourd’hui entravent des solutions pour les problèmes urgents des familles bruxelloises.