Résumé : Depuis bientôt trente ans, la référence au « développement durable » annonce une nouvelle phase de remise en question et, donc, de remodelage du rôle sociétal alloué à l’architecture. L’ampleur et la teneur de ces évolutions ne sont pas évidentes car, si le durable revêt une potentialité critique, son activation demeure incertaine. Cherchant à comprendre, frontalement, dans quelle mesure cette potentialité critique est activée dans le champ de la régulation de l’architecture, la recherche analyse comment les problèmes, les enjeux et les solutions sont pensés et mis en forme au sein des politiques publiques. Cette analyse est appliquée au contexte de la Région de Bruxelles-Capitale qui semble, de prime abord, se distinguer par un volontarisme politique en matière d’éco-construction. Abordant l’architecture en tant qu’instrument de pensée et instrument d’action selon les termes d’Henri Lefebvre, il s’agit de questionner les évolutions du triptyque architecture, action publique et idéologies développementalistes modernes induites, volontairement ou involontairement, au nom du durable. Descendante, l’analyse de ces relations, de leurs concordances et de leurs tensions entend poursuivre le pari d’élargir le champ des questionnements qui se constituent autour de l’objet « bâtiment durable » ou « éco-bâtiment ». Pour ce faire, la recherche prend la forme d’une genèse de la construction des problématisations élaborée à travers trois grands axes de lecture. Le premier s’attache aux héritages de la montée du référentiel d’architecture durable. Généraliste, cette analyse du passé vise à offrir des supports pour comprendre les processus de construction des actions et des idéologies actuelles. Le deuxième axe s’intéresse à la mise en forme du référentiel d’architecture durable, abordée à travers la question de l’équilibre entre l’action par responsabilisation et l’action par réglementation. Le troisième axe analyse comment se négocie le référentiel d’architecture durable dans un contexte d’urgence d’action et de dépolitisation résultant de la naturalisation du référentiel de marché. Il ressort de cette genèse que la référence au durable a favorisé une certaine repolitisation de la question architecturale à Bruxelles, mais que celle-ci est moins évidente qu’il n’y paraît de prime abord. En particulier, les politiques étudiées se caractérisent par un volontarisme indéniable, suggérant une logique de durabilité forte qui se distancie en elle-même du technocentrisme. Néanmoins, le cas bruxellois n’échappe pas à une logique industrielle élaborée à partir du registre technicien et des codes du marché. Cette logique industrielle déforce l’activation de la potentialité critique du développement durable et ce, même si nombre d’acteurs influant les décisions s’inscrivent dans les idéologies de la critique écologique. Il en résulte trois grands paradoxes qui témoignent des limites de la politisation et des dérives déproblématisantes du référentiel d’architecture durable tel que conceptualisé et formalisé en Région de Bruxelles-Capitale.
For almost thirty years, the reference to "sustainable development" announces a new phase of questioning and therefore a remodeling of the architecture societal role. The scope and content of these changes are not obvious because sustainable development has a critical potentiality nevertheless its activation remains uncertain. Trying to frontally understand how this critical potential is activated in the field of architecture, this research analyzes how the problems, issues and solutions are discussed and formalized in public policies. This analysis is applied to the Brussels-Capital Region context that seems at first to be characterized by a proactive eco-construction policy. Approaching architecture as an instrument of thought and as a form of political action in the line with Henri Lefebvre’s works, we question the evolution of triptych architecture, public action and modern ideologies induced, voluntarily or involuntarily, on behalf of sustainability. The top-down analysis of these relationships, their matches and their tensions challenge to expand the scope of the "green building" or "eco-building" reflections. To this end, the research takes the form of a problematization genesis developed through three reading lines. The first focuses on the legacy in the frame of reference of sustainable architecture. This general analysis of the past provide supports to understand the construction process of the shares and current thoughts. The second axis is interested in formalizing of the frame of reference of sustainable architecture, approached through the balance between action by accountability and action by coercive regulation. The third axis analyzes the negotiating of sustainable architecture’s forms in the environmental emergency and a postpolitical context resulting from the neoliberal hegemony. This genesis shows that the sustainability reference favored some re-politicization of the architecture societal role in Brussels, but this re-politicization is less obvious than it seems at first. In particular, your object of investigation is indeed characterized by a proactive eco-construction policy, suggesting a strong sustainability which distances itself from reliance on technical progress. Nevertheless, the Brussels eco-building’s policies are not immune to an industrial logic that is developed from the technician register and market codes. This industrial logic weakens the activation of the sustainable development critical potential, even though many actors influencing the decisions defend strong ecological ideologies. As a result, three major paradoxes limit the politicization of the sustainable architecture as conceptualized and formalized in the Brussels-Capital Region.