Résumé : Le rejet d’allogreffe dépend de la reconnaissance d’antigènes d’histocompatibilité étrangers par le système immunitaire du receveur. En l'absence de thérapies immunosuppressives, la réaction inflammatoire éventuelle conduit à la destruction rapide du tissu transplanté. Le rôle critique joué par les lymphocytes T CD4+ dans le rejet aigu d'allogreffe est bien établi. Cependant, les contributions respectives des lymphocytes CD4+ Th1 et Th2 dans la réaction de rejet sont controversées. Alors que le rôle des cellules Th1 dans la pathogénèse du rejet est bien établi, l'hypothèse que les cellules Th2 favorisent l'acceptation de la greffe est invalide puisque ces cellules sont capables de déclencher des voies alternatives de rejet. En effet, la fonction effectrice des lymphocytes Th2 a été démontrée dans beaucoup de modèles de rejet de greffe ou de tumeur, et dans la maladie du greffon contre l'hôte. Les caractéristiques principales du rejet de type Th2 sont sa dépendance envers la production d'IL-4 et d'IL-5, le recrutement d'éosinophiles au site du rejet, et son inhibition par les lymphocytes T CD8+ alloréactifs. Les éosinophiles activés exercent leur activité cytotoxique par la libération de plusieurs molécules cytotoxiques comme l’EDN, l’ECP, la MBP et l’EPO. Ces molécules sont probablement responsables de la capacité des éosinophies à affecter la perméabilité vasculaire et à induire des dégâts tissulaires dans les organes rejetés.

L'interleukine 9 (IL-9) est une cytokine produite par les lymphocytes T qui joue un rôle important dans les voies effectrices Th2. Dans la littérature, l’IL-9 est fortement associée au développement de l’éosinophilie tissulaire. Dans notre première étude, nous avons analysé le rôle joué par l'IL-9 dans le rejet d'allogreffe bm12 par des souris B6 (pour C57BL/6), un modèle dans le lequel une simple disparité au niveau de la molécule du CMH de classe II favorise une réaction inflammatoire de type Th2. Dans ce modèle, de faible alloantigénicité, les greffes cardiaques bm12 survivent presque indéfiniment dans les receveurs B6 (>60 jours). Nos expériences ont été conçues afin de savoir si l’expression de l’IL-9 au niveau de la greffe pouvait modifier la survie de greffes cardiaques exprimant les alloantigènes bm12. Nous avons ainsi montré que la production locale d’IL-9 induit le rejet des allogreffes cardiaques exprimant l’alloantigène I-Abm12 (survie <30jours). Aucun des organes transgéniques pour l’IL-9 n’a survécu plus de 30 jours alors que des greffes non transgéniques ne furent pas rejetées (>50 jours). L’analyse histologique des allogreffes cardiaques transgéniques pour l’IL-9 montre une infiltration cellulaire dense du myocarde. La composante principale de cet infiltrat est la présence de nombreux éosinophiles.

Pour étudier la contribution des cytokines de type Th2, comme l’IL-4 et l’IL-5, dans le rejet des cœurs transgéniques pour l’IL-9, nous avons sélectivement bloqué ces cytokines lors du processus de rejet. Le traitement avec des anticorps neutralisant l’IL-4 bloque complètement le rejet induit par l’IL-9 et permet la survie à long terme des allogreffes cardiaques. Au point de vue de l’histologie ces greffes ne montrent ni infiltration leucocytaire ni artériopathie. Afin de déterminer si l’infiltration éosinophilique induite par l’IL-9 provient de l’activité directe de l’IL-9 ou est le résultat de la sécrétion d’IL-5, un traitement avec un anticorps anti-IL-5 a été appliqué aux receveurs d'allogreffe cardiaque. Ce traitement augmente la survie de la majorité des allogreffes et modifie de manière marquée la composition de l’infiltrat cellulaire en prévenant le recrutement des éosinophiles. De manière intéressante, les cœurs transgéniques pour l’IL-9 qui survivent indéfiniment après le traitement anti-IL-5 arborent une importante fibrose.

A la différence du cœur bm12, la peau bm12 greffée sur un receveur B6 subit un rejet rapide et l'histologie des greffes rejetées révèle la présence d'infiltrats denses à éosinophiles. Notre laboratoire a montré que ce processus de rejet est dirigé par les lymphocytes T CD4+ alloréactifs et que les souris B6 déficientes pour l'IL-5 et la voie de cytotoxicité Fas/Fas-L sont incapables de rejeter des peaux bm12. Nos premiers résultats laissaient supposer un rôle pour l'IL-9 dans notre modèle de rejet de greffes en disparité des molécules du CMH de classe II: premièrement, nous avions observé la production d'IL-9 par les lymphocytes T de type Th2 alloréactifs et deuxièmement, l'ARNm d'IL-9 était fortement exprimé au niveau des allogreffes de peaux rejetées. C’est pourquoi, la survie de peaux bm12, déficientes pour la molécule Fas, greffées sur des receveurs B6 déficients pour l'IL-9 (B6.IL-9-/-) a été comparée avec celle de peaux transplantées sur des receveurs B6. Nous avons montré que, comme les souris B6 normales, les animaux B6.IL-9-/- rejettent leur greffe dans les 15 jours. Donc, contrairement à l'IL-5, l'IL-9 n'est pas essentielle pour le rejet de peau dirigé par les cellules T CD4+ de type Th2 dans notre modèle de disparité des molécules du CMH de classe II.

Néanmoins, les allogreffes de peaux, dans notre modèle de disparité des molécules du CMH de classe II, contiennent moins d’éosinophiles lorsqu’elles sont rejetées par des receveurs déficients pour la synthèse d’IL-9 (IL-9-/-). En plus du modèle bm12, nous avons également observé un rôle de l’IL-9 dans un autre modèle de rejet Th2. Il a été montré par notre laboratoire que le rejet d’allogreffes cardiaques Balb/c complètement incompatibles par des souris receveuses B6.CD8-/- est caractérisé par le recrutement d’éosinophiles dans l’organe rejeté (106). Dans celui-ci, l’ARNm de l’IL-9 est présent pendant le rejet, de même que l’IL-4 et l’IL-5 et les greffes rejetées par des receveurs IL-9-/- contiennent moins d’éosinophiles par rapport à des receveurs contrôles. Les mécanismes par lesquels l’IL-9 induit le recrutement des éosinophiles ne sont pas complètement connus.

L’IL-5 est considérée comme la cytokine clé pour le développement de l’éosinophilie. De plus, le rejet aigu des cœurs transgéniques pour l’IL-9 est caractérisé par une infiltration massive d'éosinophiles et est inhibé lors de la neutralisation de l'IL-5. Nous avons entrepris la seconde étude pour investiguer le lien fonctionnel entre l’IL-9 et l’IL-5 dans le rejet d’allogreffe, ce qui permettra de mieux comprendre le recrutement des éosinophiles par l’IL-9.

Bien que le rejet ne soit pas inhibé par le manque d’IL-9, les allogreffes rejetées par les souris déficientes en IL-9 contiennent moins d’éosinophiles par rapport à des souris contrôles et présentent une production plus faible d’IL-5 par les cellules T alloréactives. De manière intéressante, la production optimale d’IL-5 après une stimulation allogénique requiert un récepteur à l’IL-9 (IL-9R) fonctionnel sur les cellules répondeuses. De plus, l’infiltration d’éosinophiles induite par l’IL-9 est absente dans des peaux transplantées sur des receveurs déficients pour le récepteur de l’IL-9. Finalement, la production d’IL-5 par des cellules T CD4+ stimulées par l’anti-CD3 est abolie par la neutralisation de l’IL-9.

En conclusion, nous pouvons dire que l'IL-9 est capable d'induire un rejet de type Th2, caractérisé par une forte infiltration d’éosinophiles et une dépendance à l'IL-5 et à l'IL-4. Notre étude montre également que l’IL-9 peut agir directement sur les cellules T CD4+ pour induire leur capacité à sécréter de l’IL-5. Cependant, l’IL-9 n’est pas indispensable au processus de rejet Th2 et il est probable que lorsque l’IL-9 est bloquée d'autres cytokines soient capables de compenser son absence. Notre étude permet une meilleure compréhension des voies complexes du recrutement des éosinophiles.