Résumé : CONCLUSIONS

Les discours sur la mixité apparaissent sur la scène locale vers le début des années quatre-vingt. Ils se développent dans un contexte général caractérisé par la globalisation des économies avancées et par l'expression des valeurs de la post-modernité.

Subséquemment la scène locale subit les effets des changements de sa structure économique (surtout tertiairisation et désindustrialisation). La suburbanisation constante de sa population aisée s'ajoute à ce processus ainsi que des changements de population dans ses parties centrales avec l'afflux d'immigrés et de cadres internationaux.

La cause qui a fortement influencé l'apparition du discours sur la mixité a été la réaction au zonage fonctionnaliste de la "bruxellisation" des parties centrales de la ville. La "bruxellisation"a été ressentie, telle que révélé par les discours, comme une agression, un affront, qui a dénaturalisé l'identité urbaine surtout du Pentagone et de la première couronne. De plus, elle a été considérée comme une politique arbitraire non- transparente qui a directement affecté les couches moyennes et populaires des quartiers concernés.

Le discours sur la mixité urbaine est une composante du processus de recherche identitaire bruxelloise entamé lors des débats sur le plan de Secteur et sur la régionalisation.

Hors des facteurs conjoncturels généraux et locaux, le discours sur la mixité représente la suite du débat historique sur la vision de ville qui a caractérisé Bruxelles depuis ses débuts en tant que capitale de la Belgique.

Depuis sa consécration, deux images de ville ont été suggérées par les autorités et par les décideurs de l'époque: d'une part celle d'une ville moderne, internationale et cosmopolite ouverte au monde et aux changements, d'autre part l'image d'une ville européenne moyenne désireuse de conserver les qualités de vie et les formes urbaines traditionnelles.

Les discours analysés au cours de cette étude sous-entendent la mixité comme celle des quartiers centraux de la ville (en particulier, le Pentagone et la première couronne du 19e siècle).

Selon ces discours la mixité urbaine est un terme confus, polysémique et subjectif. Ils lui attribuent trois contenus: architectural, fonctionnel et social.

La mixité urbaine est la coexistence de formes (ou espaces), la « juste proportion » d'activités (ou fonctions) et/ou la diversité des interactions sociales dans un périmètre urbain donné.

La mixité architecturale s'exprime au travers d'une diversité de formes, de styles et d'espaces intrinsèques, enracinées, spontanément développées au cours des années par les gens et leur vécu, par la réalité sociologique locale. Dans l’esprit de la mixité architecturale, il faut conserver des parties de ville telles qu'elles ont toujours été. La mixité architecturale constitue une réaction culturelle de défense des formes urbaines traditionnelles.

En opposition, s'est développée l'image théorique et rationnelle de la ville moderne, à qui les discours reprochent d'imposer des formes et de simplifier à outrance l'activité urbaine.

Dans son orientation fonctionnelle, la mixité soutient principalement le logement dans la ville ("ville habitée). Subséquemment les discours traitent fondamentalement la compatibilité ou "la juste proportion" des différentes fonctions économiques: entreprises (grandes, petites et de pointe), bureaux (grandes extensions et petits bureaux), et à moindre mesure commerce et horeca, avec le logement en ville. La proportion sera juste si elle conserve la qualité de vie du quartier assurée par l'équilibre fonctionnel entre fonctions fortes (le tertiaire) et fonctions faibles (le logement, la petite entreprise, le commerce de détail local, etc.). La concentration, le nombre et la localisation des activités influenceront cet équilibre. Il faut signaler qu'au regard des discours locaux la "petite entreprise" n'est seulement pas petite en taille (on ne parle pas de "high tech" par exemple), mais elle est locale, traditionnelle et en relation avec les habitants, surtout avec les milieux populaires qui, de fait, sont peu mobiles tant économiquement que culturellement et tissent leur réseau de relations dans la proximité spatiale.

Les discours sur la mixité fonctionnelle semblent dériver d'une image de ville paroissiale caractérisée par une variété de services offerts à proximité du logement y compris des emplois. Les discours qualifient cette ville d'être à "taille humaine". D'emblée cette caractéristique transforme la ville en univers proche facilement repérable et rapidement atteint. Nous considérons que cette conception de la ville ignore la dimension de la mobilité des acteurs urbains dans le sens de leurs possibilités de déplacement. Il est évident que pour ceux pour qui se déplacer ne représente pas de problème, la "taille humaine" de la ville ou d'une partie de ville, sera différente de celle des acteurs pour qui les déplacements sont difficilement atteints, sinon impossibles. La définition de la "taille humaine" de la ville ne sera en conséquence pas la même pour tous ses habitants. Elle est associée à des contextes socio-économiques spécifiques ainsi qu'à des codes culturels de rapport à l'espace. Ces derniers sont très importants pour déterminer la perception de la morphologie urbaine que se forme l'acteur (la "taille humaine" de la ville ou de ses parties composantes). Nous concluons en conséquence, qu'à l'égard des discours analysés, les habitants de la ville fonctionnellement mixte maintiennent, selon la terminologie de Castells, des rapports à l'espace délimités par des "lieux" (et non par des" flux").

Le résultat est que l'interprétation de ville mixte comme une ville "à taille humaine" telle que conçue par les discours, favorise d'avantage les habitants de la ville et "rejette" ceux qui ne le sont pas. La raison peut être sans doute liée au mode de fonctionnement politique et aux conditions de la fiscalité locale. La Région de Bruxelles - Capitale investit en tant que métropole et centre d'emploi pour sa périphérie (surtout en termes de transports, infrastructures…), sans avoir des recettes suffisantes.

Parmi la population locale, les discours sur la mixité fonctionnelle visent particulièrement les habitants des quartiers défavorisés, qui pour des raisons économiques et culturelles vivent généralement repliés sur le local.

En revanche, ces discours ne tiennent pas compte des acteurs locaux dont les rapports à l'espace urbain sont définis par des flux qui créent des réseaux étendus de relations et permettent la pluralité des lieux de vie. A leur égard des propos opposés peuvent être soutenus. Leurs possibilités de mobilité, font que pour eux la proximité physique des fonctions peut même représenter une contrainte …

Nous concluons que les discours sur les avantages de la ville fonctionnellement mixte ne concernent qu'un secteur de la population urbaine et non une population mixte du point de vue socio-économique.

La généralisation que les discours font des avantages de la ville à"taille humaine" à toute la population bruxelloise provient de son caractère idéologique.

Les discours interprètent la ville fonctionnellement mixte en tant que "lieu de liberté". L'acteur y a la possibilité de choisir parmi une variété d'activités à proximité. La répétition de cette multifonctionalité à travers l'espace urbain crée une ville socialement et culturellement hétérogène.

Or d'un point de vue critique cela n'a pas toujours été le cas comme ce ne l'est pas aujourd'hui. Les paysages urbains traditionnels, qui inspirent la mixité, étaient historiquement peuplés par des individus qui n'étaient pas "libres", et qui avaient un éventail de choix limités. Même s'il existait une mixité fonctionnelle dans le quartier, l'individu était fortement soumis aux normes et aux codes de conduite des différents groupes sociaux ambiants tels que la famille, l'Eglise, la corporation, etc. En quelque sorte, le modèle socioculturel primait sur la composition fonctionnelle du lieu. L'existence d'une mixité fonctionnelle ne transforme pas nécessairement la ville en source de liberté pour l'habitant. Le choix du citadin n'était de toute évidence pas libre, mais fonction des influences sociales et culturelles exercées sur lui.

D'ailleurs soutenir que les quartiers doivent offrir des logements, des emplois, des services et des équipements culturels n'implique pas d'emblée l'existence d'un choix, car il faut habiter et travailler, et avoir accès à divers services. Autrement dit, il est impossible de choisir ces fonctions, car on recourt à toutes. D’ailleurs, ce n'est pas parce qu'il y a des emplois disponibles dans le quartier de résidence par exemple, que c'est forcément là que l'habitant va trouver du travail. Cela vaut aussi pour les services, les équipements culturels.

Les discours décrivent la mixité sociale en termes sociaux, économiques, culturels et ethniques. Sa caractéristique essentielle est d'être volontariste, de permettre à l’acteur le libre choix entre différents contextes sociaux.

Le "contre-miroir" de la mixité sociale est le "ghetto", avec ses connotations négatives d'exclusion, de contrainte, d'imposition et de coercition.

Selon les discours, la morphologie de l'espace urbain ainsi que l'hétérogénéité du bâti résidentiel traditionnel, ont des effets qui dépassent le domaine physique. La morphologie de l'espace urbain ou du bâti résidentiel crée des sensations de continuité et motive "naturellement" des attitudes automatiques et homogènes de la part des habitants envers l'environnement urbain. Ainsi, les maisons unifamiliales sur rue, mitoyennes de l’espace public, génèreraient plus facilement la sociabilité entre résidents que d’autres types d’habitat. Nous en concluons que les discours établissent une liaison entre "forme" et "fonctionnement" urbain. Par une sorte d'automatisme, les discours impliquent que les effets ne sont pas la conséquence de pratiques ou d'orientations culturelles, mais qu'ils procèdent plutôt mécaniquement d'une situation physique préexistante. Tout se fait comme si naturellement, automatiquement, la forme physique du logement ou sa localisation dans le contexte urbain, déclenchait une motricité sociale.

A notre avis il est évident qu'il s'agit de métaphores, d'images. On ne développera pas davantage de relations sociales parce qu'on habite dans un certain type de maison sur rue. Ce type de discours passe sous silence la dynamique sociale et les effets sociaux. Nous soutenons que les conditions matérielles n'induisent pas automatiquement un certain type de comportement. C'est généralement l'acteur et son appartenance sociale, et sa culture qui sera l'élément décisif qui déterminera les effets sociaux et non la forme matérielle, physique qui ne peut que faciliter ou entraver les échanges. Nous concluons que ce type d'argument procède aussi d'une démarche idéologique des discours plutôt que d'une analyse factuelle.

Suite à l'analyse des effets de la mixité sociale sur le contexte urbain nous distinguons deux types ou niveaux de discours: idéal/ idéologique/ utopique d'un côté, et réel/ empirique de l'autre.

Dans le premier cas, la mixité sociale est pour certains acteurs un modèle de conduite sociale urbaine à imiter et pour d'autres un code "d'obligations" à respecter. Elle sert aux plus démunis de catalyseur pour l’émulation et rappelle aux habitants favorisés leurs "devoirs envers leurs concitoyens". Dans ce contexte, la mixité sociale est considérée une situation propice à susciter la solidarité entre les différentes couches sociales. Les avantages attribués à cette mixité sociale (responsabilités envers des groupes sociaux défavorisés, "détournement" de conflits, facteur de solidarité...), montrent qu’en fait ce discours exprime une idéologie, une certaine vision de la réalité sociale fondée sur des suppositions et des convictions…. Le "contre-miroir" pourrait aussi refléter une image totalement différente: celle de groupes sociaux en constant conflit et tension justement à cause de leur rapprochement incompatible.

Le discours réel/empirique concernant les effets de la mixité sociale se base sur des expériences de coexistence entre groupes sociaux/ethniques. Dans ce cas, la mixité sociale est présentée d’une part comme source de convivialité et de contrôle social, et d'autre part comme cause de frictions et de tensions.

Les effets "idéaux" de la mixité sociale exprimés par les discours renvoient à un cadre urbain où les interactions sociales suivent le modèle que Remy et Voyé appellent "harmonie dans la hiérarchie". Selon ces auteurs, dans ce modèle les individus sont inégaux mais ils acceptent et même légitiment les inégalités.

Les effets "réels" de mixité sociale créent des interactions de convivialité, de contrôle mais aussi de conflit et de tensions. La coexistence proche de différentes couches de population (dans un même bâtiment par exemple) suscite des sentiments de "frustration", de révolte, d'injustice. Le modèle théorique qui mieux s'adapte à ce type d'interactions sociales est celui que ces auteurs appellent de "compétition pour l'égalité". On rentre en compétition pour atteindre une "plus grande égalité" entre individus. En comparaison au modèle précédent, et on n'accorde plus ou de moins en moins, de légitimation à priori aux hiérarchies sociales.

En conséquence, nous constatons qu'ils existent deux types de discours bruxellois. Un discours "empirique" qui se base sur des interprétations des expériences de la vie réelle. L'autre type de discours est un discours idéal/idéologique/utopique qui exprime des valeurs culturelles locales au travers d'une image de fonctionnement urbain idéal.

Ce constat sur les deux types de discours issu de l'analyse des effets de la mixité sociale, peut être généralisé aux autres orientations de la mixité. A titre d'exemple notre étude remarque que la mixité entre logements et entreprises est à l'égard des discours idéologiques une mixité possible et souhaitée. Le discours "réel" en revanche, laisse entendre que cette mixité est souvent une chimère. Mais il ajoute que des petites entreprises, surtout de haute technologie, situées dans des bureaux bâtis à cet effet, non polluantes et sans visées d'expansion, peuvent néanmoins être compatibles.

Les deux types de discours sur la mixité urbaine (réel et idéal…) sont subjectifs et idéologiques. Des deux, le discours réel est le plus rationnel dans son approche et s'occupe par exemple des conditions ainsi que les contraintes de la mise en oeuvre de la mixité dans la ville contemporaine. Le discours idéal échappe aux liens avec la réalité et s'accroche à des visions utopiques de mixité urbaine.

Les effets de mixité sociale mentionnés nous ont appris que les interactions sociales sont différemment vécues en fonction de la distance physique entre acteurs ("plus de proximité plus de tensions"). Cette réalité nous rapproche d'une dimension importante pour la compréhension de l'interprétation de la mixité: l'échelle de la mixité.

En adaptant la conception théorique de Boudon aux discours bruxellois, deux échelles d'interprétation de la mixité se sont révélées essentielles. L'échelle spatiale de la mixité exprime la perception subjective de l'impression de grandeur (ou "l'aire de captation") spatial de la mixité qui reçoit l'acteur. En autres mots: l'échelle spatiale exprime le niveau spatial auquel l'acteur considère que les composants de la mixité urbaine sont compatibles.

L’échelle sociale et/ou l’échelle socioculturelle, interprète cette compatibilité comme conséquence de l’appartenance de l'acteur à un groupe social ou culturel spécifique et comme conséquence de sa position dans le groupe.

L'analyse de l'échelle de la mixité nous a exposé à deux notions que les discours considèrent pertinents à ce propos: accessibilité et mobilité.

Selon les discours l’accessibilité, mesurée généralement par la longueur du parcours concerne surtout la mixité fonctionnelle. Cette longueur de parcours entre logements et autres fonctions est considérée comme optimale lorsqu’elle représente 10 minutes de marche.

La mobilité concerne les déplacements qu'accomplissent les acteurs par libre choix, en fonction de leurs possibilités techniques et de leurs caractéristiques socioculturelles.

Les discours considèrent optimale la compatibilité entre composantes de la mixité fonctionnelle au niveau du quartier ou plus exactement "de plusieurs îlots". Les logements et les activités économiques peuvent s'y développer sans causer trop de nuisances. La mixité a l'avantage d'être assez vaste pour que ses composantes coexistent sans s'importuner. D'ailleurs, les acteurs moins mobiles peuvent facilement accéder aux activités.

Les discours des membres de comités de quartier maintiennent une position ambiguë par rapport à la compatibilité avec les services personnels et les activités horeca à l'échelle spatiale. Leur réflexion se limite généralement aux niveaux relativement proches de leurs expériences quotidiennes (bâtiment, rue, îlot, quartier). En revanche, les discours d'acteurs ayant une réflexion plus globale sur l'ensemble de la ville (urbanistes, élus, fonctionnaires spécialisés) font référence à la compatibilité avec entreprises et avec bureaux.

La mixité sociale est moins conflictuelle à l'échelle de l'ensemble de la ville (quartiers pauvres, quartiers riches, enclaves ethniques, etc…). Cela renforce les affirmations du modèle d'interactions sociales de "compétition pour l'égalité" ci dessus mentionné.

Une certaine distance entre groupes sociaux est parfois nécessaire afin de renforcer des identités culturelles tout en évitant des risques de "confusion" et de comparaisons défavorables.

L'interprétation de la mixité par les discours idéaux révèle des projets de société urbaine ou des visions de fonctionnement urbain. Afin de les analyser nous les avons classifiés en trois prototypes de vision de ville.

Le point de départ de ces trois visions est la ville habitée.

Le premier prototype concerne la vision de la "ville conviviale". L'image de la ville conviviale représente la cristallisation des effets positifs de la mixité architecturale, fonctionnelle et sociale. En effet, les discours analysés caractérisent la ville conviviale comme une ville à "taille humaine" (voir ci-dessus). L'activité permanente de la ville conviviale sécurise ses habitants.

C'est une ville qui offre une qualité de vie convenable où "il est bon vivre".

La ville conviviale représente le cadre de rencontre et de fréquentation des acteurs et sert en conséquence à "désamorcer" les conflits sociaux et à apporter éventuellement la "pacification sociale".

Ces possibilités de rencontres et de relations face à face permettent aussi l'échange d'idées et la " fécondation mutuelle" dans les domaines économiques de pointe et dans les secteurs de la créativité artistique.

Selon les discours, la ville conviviale est un lieu de liberté et comme telle encourage la mobilité sociale.

Le deuxième prototype concerne la vision de la "ville démocratique".

La ville démocratique, à la différence de la ville conviviale, accorde à la ville mixte un contenu politique. Le contenu est politique puisqu'il représente un choix de société ainsi qu'un rapport de forces entre acteurs sociaux (mixité sociale).

La qualité de vie qu'offre la ville conviviale est parfois le résultat de son ambiance familière ("villageoise/communautaire") et aussi d'autres fois la conséquence de sa tolérance envers autrui. La qualité de vie de la ville démocratique s'exprime selon les discours par la libre participation des habitants ou des groupes sociaux aux débats publics.

Dans la ville conviviale, l'interaction sociale et la familiarité qui se crée en conséquence, aident spontanément à lénifier les conflits sociaux. Dans la ville démocratique, en revanche, les acteurs participent au débat public afin de défendre leurs intérêts particularistes et de négocier des compromis. En conséquence dans la ville démocratique les conflits sont gérés légitimement par le processus de participation démocratique.

Le lien entre mixité et ville démocratique passe par une ville architecturalement et socialement mixte aménagée afin de pourvoir des espaces publics qui, selon les discours, encouragent l'interaction sociale et par conséquent le débat démocratique (lien entre "forme" et "fonctionnement urbain", p:212).

Nous n'avons pas trouvé de lien évident ou cohérent entre mixité urbaine et démocratie. Celui-ci est plutôt la conséquence d'une prise de position idéologique (dogmatique) de certains discours que d'une réalité. La mixité peut être mise en place par des voies antidémocratiques, comme dans le cas mentionné par le discours sur la rénovation des abords de la place du Grand Sablon.

La composition sociale du quartier ou d’une partie de quartier semble être importante afin d'établir la forme (directe/ indirecte, spontanée/ institutionnalisée) et le degré de participation (en fonction de l'identification socioculturelle) des différents groupes sociaux au débat démocratique. A ce propos il semblerait que la participation directe des acteurs dans le processus démocratique exige une certaine socialisation/culture civique, qui limitent l'étendue de cette participation.

Le troisième prototype de vision de ville idéale est celui de la "ville durable". Elle synthétise la rencontre entre l'approche de la ville traditionnelle et l'apport écologique des années 80, qui traite les effets de l'interaction entre l'homme et son environnement.

Cette interprétation de la ville se fonde, selon les discours, sur l'idée que tant le milieu urbain comme le milieu naturel sont des milieux complexes. Afin de les comprendre il faut analyser leurs éléments et surtout les interactions entre leurs éléments. Comme conséquence, se créent des perceptions complexes de la ville, par rapport auxquelles "il n'existe pas de solution unique".

La vision de la ville durable soutient le respect de la tradition urbaine locale (importance du patrimoine bâti et de sa signification). C'est sur cette base qu'elle interprète les interactions de l'acteur avec le milieu urbain tant physique (mobilité, pollution, conservation de la nature en ville…) que socio-économique (emploi, structure sociale…).

La ville durable peut être considérée une ville mixte adaptée aux défis de la fin du 20e siècle. Comme l'exprime un discours: la mixité cherche le "renouement avec les racines" ainsi que le "renouement avec la nature". Cette opinion se confirme par l'analyse des différents aspects de la durabilité.

Dans le domaine de la durabilité écologique, le rapprochement logements-emplois soutenu par la mixité fonctionnelle, peut contribuer par exemple à réduire les émissions de CO² et à préserver la qualité de l'air.

Les discours sur la mixité revendiquent la diversité sociale et économique du centre ville. Les discours qui revendiquent la mixité fonctionnelle et la diversité de l'emploi dans le centre ville visent en fait les défis de la durabilité économique de multifonctionalité.

La mixité sociale contribue à assurer une redistribution plus équitable de services et d'équipements collectifs. Par exemple l'existence de quartiers socialement mixtes (comme à Schaerbeek) renforce, selon le discours, une répartition plus juste des ressources parmi leur population.

En comparaison aux discours idéaux qui mettent en exergue des prototypes de ville mixte, les discours réels sur la mixité sont assez ambigus par rapport aux possibilités de sa mise en oeuvre. Une des raisons accentuée par les acteurs semblerait être que le discours sur la mixité est instrumentalisé par ceux qui les brandissent à des fins particularistes. Ainsi les acteurs qui revendiquent par exemple la mixité avec les activités économiques mettent en réalité en oeuvre la monofonctionalité des bureaux en contradiction au plan de Secteur de l'époque. Ou bien, ceux qui mettent en avant la mixité détruisent ou permettent la destruction du logement en zone de protection accrue des logements (on mentionne l'exemple à l'Avenue de Cortenberg)…

L'aphorisme: "protection du logement au centre ville" est selon un acteur cité, dépourvu de contenu, puisque comme dans le cas de la Gare du Midi, on détruit du logement en faveur des bureaux…

Dans tous ces cas les responsables revendiquent la mixité mais en fait ils cèdent aux désirs de leurs électeurs (qui veulent monofonctionalité logements en deuxième couronne par exemple) ou aux intérêts économiques du privé (pour la délocalisation du commerce du centre ville).

Nous avons aussi trouvé que les discours sur la mixité sociale sont également instrumentalisés. Par exemple dans les cas des projets de l'SDRB des Etangs Noirs ou de la Rive gauche, on soutient l'argument de la mixité sociale mais on veut augmenter le nombre de contribuables aisés afin d'équilibrer les recettes régionales.

Hors des autorités ou des responsables publics, les discours mettent en avant qu'aussi les groupes de la société civile tel que le mouvement associatif instrumentalise le discours sur la mixité dans le cadre des comités de concertation. Théoriquement la mixité sociale renforce la démocratie participative des acteurs de la société civile dans la prise de décisions urbanistiques. En réalité, ce sont les dirigeants du mouvement associatif ("toujours les mêmes personnes") qui se présentent aux différents comités ("que se soit à Uccle ou à Molenbeek") "représentant" la population locale qui n'est pas toujours d'accord avec leur discours….

Le discours sur la mixité est instrumentalise parce qu'il représente à Bruxelles une puissante force mobilisatrice. Comme tel, les responsables et/ou autres acteurs publics ou privés s'en servent.

Parfois pour mettre en avant des projets de diversification économique et sociale, dans d'autres cas pour dévier l'opinion publique de sujets "moins populaires" (développements tertiaires, polarisation sociale…).

L'instrumentalisation du discours sur la mixité par les acteurs locaux soutient d'avantage son caractère idéologique. Quand on "dissèque" la mixité, on découvre que ce concept dissimule par exemple du zonage ou de la polarisation sociale/ gentrification.

Comme conséquence nous pouvons conclure que mixité et zonage/ polarisation/ gentrification constituent les forces dialectiques d'une même dynamique.

Les acteurs publics qui utilisent le discours sur la mixité sont souvent conscients qu'ils n'en perçoivent pas les contours précis. Avec raison, car cette notion ne recouvre aucune valeur absolue puisqu’elle varie selon le contexte social et les rapports de force des divers secteurs de la population qui la revendiquent.

Les monographies des quartiers/projets analysés ont révélé que le discours sur la mixité implicite ou explicite soutenu dans leurs étapes initiales est resté inachevé.

Le développement de la mixité fonctionnelle n'a pas affecté la polarisation sociale/gentrification (Rive-Gauche, rue de Laeken).

Le discours en faveur de la mixité sociale n'a pas empêché le développement d'une gentrification "spontanée" au plateau Avjil.

Aux Marolles, l'homogénéité sociale persiste malgré la diversité ethnique.

Dans trois des quatre cas analysés, la mise en oeuvre de la mixité fonctionnelle n'a pas empêché la polarisation sociale et par conséquent la fragmentation socio-économique de l'espace.

Finalement en réponse aux questions posées au départ de notre recherche concernant la nature de la mixité urbaine (théorie, tradition ou idéologie) nous concluons que la mixité révèle une approche urbaine qui manque singulièrement d'élaboration théorique.

L'analyse des discours sur la mixité révèle aussi un aspect important de la mixité urbaine: son contenu culturel. Celui-ci s'exprime par un discours idéal/ idéologique/utopique qui fait référence à des valeurs, des doctrines, et des croyances s'extériorisant par une certaine vision du fonctionnement urbain idéal.

Nous constatons que ce type de discours contribue à l'unicité de l'interprétation locale de la mixité urbaine. Il est probablement aussi une cause importante de l'imprécision de cette dernière.

L'interprétation bruxelloise de la mixité, une parmi plusieurs autres, relève d'une tradition, d'une culture urbaine qui met en exergue des valeurs vernaculaires.

Notre analyse a montré que la mixité urbaine à Bruxelles n'est pas une théorie, mais bien plutôt une idéologie, un projet de société et de fonctionnement social.

Comme l'ont illustré les discours, le débat sur la mixité a été, à ses débuts, une réaction locale contre le fonctionnalisme, très particulièrement contre les bureaux, en faveur d'une polyvalence d'espaces et d'une diversité économique. Plus tard le contenu de la mixité locale s'est élargie pour inclure aussi un volet social: le plaidoyer contre la paupérisation du centre de la ville.

C'est en tant qu'idéologie tributaire d'une vision historico-culturelle de Bruxelles que la mixité est instrumentalisée par différents acteurs sociaux. Elle est revendiquée tant par le mouvement social urbain ainsi que par les autorités qui ont autrefois soutenu le zonage…, par des acteurs libéraux ainsi que par ceux identifiés avec la gauche…, par le mouvement associatif ainsi que par les comités de quartier aux attitudes NIMBY…Peu de temps après sa création, la mixité a été institutionnalisée par la Région de Bruxelles-Capitale…

A Bruxelles la notion de mixité demeure à la fois un moyen réel d’action ainsi qu'un symbole mobilisateur quasi mythique qui fait partie de l'imaginaire urbain local.