Résumé : Malgré de nombreux progrès thérapeutiques, la seule réelle option thérapeutique des malades atteints d’une cirrhose terminale ou d’hépatite aiguë fulminante est la transplantation hépatique, cependant limitée par la pénurie d’organes. De même, la prise en charge des pathologies pancréatiques aigues et chroniques consiste essentiellement en traitements supportifs et des complications.

La réaction inflammatoire au cours des maladies hépatiques et pancréatiques joue un rôle majeur dans l’évolution de ces maladies car elle influence la sévérité de l’affection aiguë et se complique fréquemment de fibrose et de cirrhose.

Les chimiokines constituent une famille de peptides possédant des propriétés chimiotactiques et activatrices sur les leucocytes, et de ce fait jouent un rôle primordial dans la réaction inflammatoire en recrutant des cellules inflammatoires vers un site lésé. Les chimiokines exercent leurs activités en se liant à une famille de récepteurs à 7 hélices transmembranaires situés sur les leucocytes.

Le CCR5 est un récepteur pour les chimiokines CCL3 (MIP-1α), CCL4 (MIP-1β), CCL5 (RANTES) et CCL8 (MCP-2). Le CCR5 joue un rôle important de corécepteur dans l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Chez l’humain, il existe une mutation relativement fréquente du CCR5, appelée CCR5Δ32, qui confère chez les patients homozygotes pour la mutation une protection presque complète contre l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Plus récemment, la mutation CCR5Δ32 a été rapportée comme étant associée à certaines maladies hépatiques et des traitements expérimentaux chez l’homme par inhibiteurs du CCR5 ont entraînés des cas d’hépatotoxicité sévère. De même, il a été rapporté que l’expression pancréatique de CCR5 était augmentée chez les patients atteints de pancréatite chronique. Cependant, le rôle du récepteur CCR5 et de ses ligands dans la pathogénie des maladies hépatiques et pancréatiques n’est pas connu.

Dans un premier temps, nous avons démontré dans un modèle expérimental d’hépatite médiée par les lymphocytes T qu’il existe une production hépatique de CCL3, CCL4 et CCL5 au cours de la maladie et que le foie des souris malades est caractérisé par une infiltration accrue de cellules CCR5+. En utilisant des souris CCR5-déficientes, nous avons ensuite montré que l’absence de CCR5 est associée à une maladie plus sévère, à une production accrue de cytokines pro-inflammatoires et des chimiokines liant le CCR5 (CCL3, CCL4 et CCL5), ainsi que par un recrutement plus important de cellules inflammatoires, particulièrement des cellules CCR1+. Nous avons ensuite montré que la production accrue des ligands du CCR5 joue un rôle important dans l’exacerbation de la maladie observée chez les souris CCR5-déficientes, puisque leur neutralisation réduit fortement la sévérité de la maladie ainsi que le recrutement hépatique de cellules inflammatoires.

Dans un second temps, nous avons étudié l’expression et le rôle du CCR5 et de ses ligands dans un modèle murin de pancréatite aiguë sécrétagogue, induite par des injections répétées d’un analogue de la cholécystokinine. Précocément après l’induction de la maladie, nous avons observé une augmentation de l’expression de CCL2 (MCP-1), CCL3 et CCL4 alors que l’augmentation d’expression de CCL5 est observée plus tardivement au cours de la maladie. Nous avons ensuite montré que les souris CCR5-déficientes développent une pancréatite plus sévère, ainsi qu’une production accrue de CCL2, CCL3 et CCL4, et un infiltrat inflammatoire plus marqué que les souris ‘’wild-type’’. Nous avons également montré que la production accrue de ces chimiokines joue un rôle dans l’exacerbation de la pancréatite aiguë chez les souris CCR5-déficientes. En effet, la neutralisation simultanée de ces chimiokines par des anticorps monoclonaux réduit significativement la sévérité de la maladie pancréatique chez ces souris. De même, la neutralisation simultanée des ligands du CCR5 chez des souris wild-type réduit également la sévérité de la pancréatite aiguë, suggérant un rôle de ces molécules dans la pathogénie de la pancréatite aiguë.

En conclusion, nous avons montré que l’absence du récepteur CCR5 augmente la susceptibilité aux maladies inflammatoires hépatiques et pancréatiques expérimentales. Le développement d’inhibiteurs du CCR5 dans l’arsenal thérapeutique contre le virus de l’immunodéficience humaine devra tenir compte de ces données, d’autant plus que des cas d’hépatotoxicité sévère ont été récemment rapportés avec certains inhibiteurs en développement et que l’association du virus de l’immunodéficience humaine avec la présence de maladies hépatiques est fréquente. Enfin, ces travaux ouvrent de nouveaux champs d’investigation au niveau de l’étude d’association du CCR5Δ32 avec les maladies inflammatoires pancréatiques et hépatiques, et des perspectives thérapeutiques ciblant CCL3, CCL4 et CCL5.