Résumé : Résumé de la thèse d’Alexandre Janiak intitulée « Essais sur la mobilité géographique, sectorielle et intra-sectorielle en périodes de changement structurel »

Le changement structurel est un processus nécessaire qui améliore considérablement les conditions de vie dans nos sociétés. Il peut découler par exemple de l'introduction de nouvelles avancées technologiques qui permettent d'augmenter à long terme la productivité agrégée dans nos économies. En retour, la hausse de la productivité a un impact sur notre consommation de tous les jours. Elle nous permet notamment de vivre dans un plus grand confort. Les individus peuvent alors s'épanouir dans leur ensemble. Il est évident que le changement structurel peut prendre d'autres formes que celle du changement technologique, mais il est souvent issu d'une transformation des forces qui influencent les marchés et en général aboutit à long terme à une amélioration du bien-être global.

Mais le changement structurel est aussi un processus douloureux. Il peut durer plusieurs décennies et, durant cette période, nous sommes beaucoup à devoir en supporter les coûts. Comme nous allons l'illustrer dans ce chapitre introductif, le changement structurel a pour conséquence une modification du rapport aux facteurs de production, ce qui alors mène à modifier l'ensemble des prix relatifs qui caractérisent une économie. En particulier, la modification des prix est due à une transformation des demandes relatives de facteurs. Ces derniers se révèlent alors inutiles à l'exécution de certaines tâches ou sont fortement demandés dans d'autres points de l'économie.

Souvent, le changement structurel entraîne alors un processus de réallocation. Des pans entiers de travailleurs doivent par conséquent se réallouer à d'autres tâches. Les lois du marché les incitent ainsi à devoir s'adapter à un nouveau contexte, mais elles le font pour un futur meilleur.

Cette thèse s'intéresse à cette problématique. Elle suppose que tout processus de changement structurel implique un mouvement de réallocation des facteurs de production, notamment des travailleurs puisqu'il s'agit d'une thèse en économie du travail, mais qu'un tel processus engendre souvent des coûts non négligeables. Elle se veut surtout positive, mais la nature des questions qu'elle pose mène naturellement à un débat normatif. Par exemple, elle cherche des réponses aux interrogations suivantes: comment s'ajuste une économie au changement structurel? Quelle est la nature des coûts associés au changement? Ces coûts peuvent-ils en excéder les gains? Le processus de réallocation en vaut-il vraiment la peine? Les gains issus d'un tel processus sont-ils distribués de manière égale?

La thèse est composée de quatre chapitres qui chacun considère l’impact d’un changement structurel particulier.

Le premier chapitre s’intéresse à l’impact de l’ouverture internationale aux échanges sur le niveau de l’emploi. Il s’appuie sur des travaux récents en économie internationale qui ont montré que la libéralisation du commerce mène à l’expansion des firmes les plus productives et à la destruction des entreprises dont la productivité est moins élevée. La raison de cette dichotomie est la présence d’un coût à l’entrée sur le marché des exports qui a été documentée par de nombreuses études. Certaines entreprises se développent suite à la libéralisation car elles ont accès à de nouveaux marchés et d’autres meurent car elles ne peuvent pas faire face aux entreprises les plus productives. Puisque le commerce crée à la fois des emplois et en détruit d’autres, ce chapitre a pour but de déterminer l’effet net de ce processus de réallocation sur le niveau agrégé de l’emploi.

Dans cette perspective, il présente un modèle avec firmes hétérogènes où pour exporter une entreprise doit payer un coût fixe, ce qui implique que seules les entreprises les plus productives peuvent entrer sur le marché international. Le modèle génère le processus de réallocation que l’ouverture au commerce international suppose. En effet, comme les entreprises les plus productives veulent exporter, elles vont donc embaucher plus de travailleurs, mais comme elles sont également capables de fixer des prix moins élevés et que les biens sont substituables, les entreprises les moins productives vont donc faire faillite. L’effet net sur l’emploi est négatif car les exportateurs ont à la marge moins d’incitants à embaucher des travailleurs du au comportement de concurrence monopolistique.

Le chapitre analyse également d’un point de vue empirique l’effet d’une ouverture au commerce au niveau sectoriel sur les flux d’emplois. Les résultats empiriques confirment ceux du modèle, c’est-à-dire qu’une hausse de l’ouverture au commerce génère plus de destructions que de créations d’emplois au niveau d’un secteur.

Le second chapitre considère un modèle similaire à celui du premier chapitre, mais se focalise plutôt sur l’effet du commerce en termes de bien-être. Il montre notamment que l’impact dépend en fait de la courbe de demande de travail agrégée. Si la courbe est croissante, l’effet est positif, alors qu’il est négatif si elle est décroissante.

Le troisième chapitre essaie de comprendre quels sont les déterminants de la mobilité géographique. Le but est notamment d’étudier le niveau du chômage en Europe. En effet, la littérature a souvent affirmé que la faible mobilité géographique du travail est un facteur de chômage lorsque les travailleurs sans emploi préfèrent rester dans leur région d’origine plutôt que d’aller prospecter dans les régions les plus dynamiques. Il semble donc rationnel pour ces individus de créer des liens sociaux locaux si ils anticipent qu’ils ne déménageront pas vers une autre région. De même, une fois le capital social local accumulé, les incitants à la mobilité sont réduits.

Le troisième chapitre illustre donc un modèle caractérisé par diverses complémentarités qui mènent à des équilibres multiples (un équilibre avec beaucoup de capital social local, peu de mobilité et un chômage élevé et un autre avec des caractéristiques opposées). Le modèle montre également que le capital social local est systématiquement négatif pour la mobilité et peut être négatif pour l’emploi, mais d’autres types de capital social peuvent en fait faire augmenter le niveau de l’emploi.

Dans ce troisième chapitre, une illustration empirique qui se base sur plusieurs mesures montre que le capital social est un facteur dominant d’immobilité. C’est aussi un facteur de chômage lorsque le capital social est clairement local, alors que d’autres types de capital social s’avèrent avoir un effet positif sur le taux d’emploi. Cette partie empirique illustre également la causalité inverse où des individus qui vivent dans une région qui ne correspond pas à leur région de naissance accumulent moins de capital social local, ce qui donne de la crédibilité à une théorie d’équilibres multiples.

Finalement, en observant que les individus dans le Sud de l’Europe semblent accumuler plus de capital social local, alors que dans le Nord de l’Europe on tend à investir dans des types plus généraux de capital social, nous suggérons qu’une partie du problème de chômage en Europe peut mieux se comprendre grâce au concept de capital social local.

Enfin, le quatrième chapitre s’intéresse à l’effet de la croissance économique sur la qualité des emplois. En particulier, il analyse le fait qu’un individu puisse avoir un emploi qui corresponde ou non à ses qualifications, ce qui, dans le contexte de ce chapitre, détermine s’il s’agit de bons ou mauvais emplois.

Ce chapitre se base sur deux mécanismes qui ont été largement abordés par la littérature. Le premier est le concept de « destruction créatrice » qui dit que la croissance détruit de nouveaux emplois car elle les rend obsolètes. Le second est le processus de « capitalisation » qui nous dit que la croissance va créer de nombreux emplois car les entreprises anticipent des profits plus élevés dans le futur.

Alors que des études récentes, suggèrent que la destruction créatrice ne permet pas d’expliquer le lien entre croissance et chômage, ce chapitre montre qu’un tel concept permet de mieux comprendre la relation entre croissance et qualité des emplois.

Avec des données issues du panel européen, nous illustrons que la corrélation entre croissance et qualité des emplois est positive. Nous présentons une série de trois modèles qui diffèrent de la manière suivante : (i) le fait de pouvoir chercher un emploi ou non alors qu’on en a déjà un, (ii) le fait pour une entreprise de pouvoir acquérir des équipements modernes. Les résultats suggèrent que pour expliquer l’effet de la croissance sur la qualité des emplois, la meilleure stratégie est une combinaison entre les effets dits de destruction créatrice et de capitalisation. Alors que le premier effet influence le taux de destruction des mauvais emplois, le second a un impact sur la mobilité du travail des mauvais vers les bons emplois.