Résumé : Concilier le droit à l'action collective et les autres droits fondamentaux : recours au principe de proportionnalité ?

Difficile équilibre entre efficacité du droit de grève et respect des autres droits fondamentaux

Viviane Vannes

L’objet de la thèse est de vérifier si le principe de proportionnalité, entouré de certains critères fixes et cohérents, permet au juge de justifier de manière plus rationnelle une décision portant sur l’exercice du droit de grève. La proportionnalité est en effet de plus en plus invoquée dans la matière des conflits collectifs du travail soit pour admettre son exercice soit pour le limiter voire le sanctionner.

La première partie de la thèse entend identifier le concept de proportionnalité: notion, champ d’application, critères, limites, avantages et inconvénients. Elle est, aujourd’hui, l’instrument de référence comme mode de résolution des conflits de droit, à un point tel qu’elle est érigée au rang des principes de droit. C’est, la raison pour laquelle nous avons voulu déterminer les tenants et aboutissants du concept. Son inconvénient majeur est de s’appuyer, le plus souvent, sur des critères subjectifs : le raisonnable en droit, l’éthique du comportement et la morale sociale. Nous avons, alors, recherché des critères plus objectifs qui seraient susceptibles d’écarter le risque de subjectivité du juge. Nous avons observé qu’en droit européen, la Cour de Justice apprécie la validité d’un acte communautaire ou d’une mesure nationale en vérifiant s’il répond des critères précis : l’aptitude de l’acte à atteindre l’objectif poursuivi, la nécessité de l’acte en vue de l’atteindre et la proportionnalité intrinsèque de l’acte analysée dans ses rapports à l’égard de son ou ses destinataires. Ces critères sont également appliqués par la Cour européenne des droits de l’homme dans la matière portant sur l’application de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’analyse de cette jurisprudence permet d’affirmer qu’ils présentent une meilleure cohérence et plus d’objectivité que le raisonnable en droit.

La deuxième partie de la thèse s’attache à fixer le statut du droit de grève en Belgique. Compte tenu de l’absence de réglementation générale belge, nous avons, d’abord, pris en considération le droit international et européen. Nous en avons retiré des lignes directives de l’exercice normal du droit de grève. L’analyse de la doctrine et de la jurisprudence belge a, ensuite, permis de fixer les éléments suivants du droit de grève : notion, contours, conditions d’existence, de légalité, de légitimité; compétence du juge du fond et des référés en cas de litige portant sur l’exercice du droit de grève.

La troisième partie de la thèse identifie, dans la matière des conflits collectifs du travail, les droits susceptibles d’être soumis au raisonnement de proportionnalité et ceux qui ne le sont pas. Car, la proportionnalité ne résout pas tous les conflits. Elle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de juger de la légalité de la grève, de sa régularité et dans les situations de grève spontanée déclenchée en réaction aux violations par l’employeur de ses propres obligations. Elle concerne celles où le juge est amené à juger de la légitimité du moment de sa mise en œuvre, des buts poursuivis ou des atteintes que ses modalités causent aux droits subjectifs d’autrui. C’est, alors, le conflit entre des droits de même valeur juridique qui met en œuvre le jugement de proportionnalité : droit de grève et droit de propriété et liberté d’industrie des employeurs ; droit au travail des travailleurs non grévistes ; liberté d’industrie des tiers en relation commerciale avec l’entreprise en grève, fournisseurs, clients, usagers, d’exercer leur commerce, leur industrie ; liberté d’aller et venir des usagers d’un service public.

Dans les situations où elle s’applique, la thèse propose d’inviter le juge à appliquer des critères précis pour juger de la proportionnalité de la grève. Les demandes actuelles du justiciable de rationalité et de compréhension de la décision de justice l’exigent. C’est, dans son application comme mode de résolution des conflits de droit, que notre questionnement est de savoir si, les critères contenus dans le principe de proportionnalité de droit communautaire de l’aptitude, de la nécessité et la proportionnalité de l’acte, peuvent fixer une ligne de conduite destinée à établir les règles de l’exercice normal de la grève ? La réponse donnée est, selon nous, positive.

La thèse n’entend nullement porter atteinte au droit de grève. Il appartient au socle des droits sociaux fondamentaux. La reconnaissance du droit de grève aux travailleurs ou à leurs organisations syndicales est l’un des attributs essentiels des régimes démocratiques. Il n’est donc pas question de remettre en cause un droit fondamental durement acquis. Toutefois, l’essence même d’une société démocratique repose sur le respect d’autres droits, l’intérêt général, la sécurité, la propriété, la liberté au travail, la liberté d’entreprendre. C’est la raison pour laquelle, la thèse s’attache à la difficile question de la conciliation entre, d’une part, droit de grève et efficacité de la grève et, d’autre part, droits d’autrui.