Résumé : Malgré la disponibilité d’un traitement curatif et un vaccin largement utilisé, l’OMS estime qu’approximativement un tiers de la population mondiale est infectée par Mycobacterium tuberculosis, l’agent étiologique de la tuberculose, et qu’environ 2 millions de personnes en meurent chaque année. La compréhension de l’épidémiologie de la tuberculose et les actions de contrôle de la maladie ont été, récemment, compliquées par l’émergence de bacilles tuberculeux résistants aux antibiotiques et par la synergie fournie par la co-infection avec le VIH. Une tendance alarmante pour la santé publique est l’émergence de souches résistantes à plusieurs antibiotiques (multi-résistantes, MDR), définies comme des isolats résistants au moins à l’isoniazide (INH) et la rifampicine (RIF), les deux agents anti-tuberculeux les plus puissants.

La sélection de mutants résistants se produit chez le patient lorsque les taux d’antibiotiques présents dans le corps sont sub-thérapeutiques ou lorsque la thérapie est inappropriée. Un des facteurs favorisant est l’exceptionnelle durée de la chémothérapie. Le besoin de maintenir des taux élevés d’antibiotiques pendant des mois, combiné avec la toxicité inhérente des agents, résultent en une observance incomplète du traitement par le patient et le risque d’acquérir des résistances. La résistance aux antibiotiques chez M. tuberculosis résulte d’altérations dans des gènes chromosomiques spécifiques. Les causes génétiques de la résistance ont été définies pour certains antibiotiques bien que plusieurs inconnues persistent.

Le présent travail a consisté en l’étude du problème de la résistance aux antibiotiques anti-tuberculeux par différentes approches : l’analyse génétique des mécanismes de résistance, l’évaluation de l’activité thérapeutique de nouvelles molécules et la caractérisation du profil de résistance de souches cliniques.

L’acide p-aminosalicylique (PAS) est un antibiotique bactériostatique de deuxième ligne dont le mécanisme d'action sur le bacille tuberculeux est incompris. Récemment, en utilisant la mutagenèse par transposon, la résistance au PAS fut associée à des mutations de la thymidylate synthase encodée par le gène thyA. Suite à cette découverte, nous avons entrepris une étude moléculaire de souches cliniques et de mutants spontanés résistants au PAS. Des mutations du gène thyA furent identifiées chez seulement 37% des souches. En tout, vingt-quatre mutations différentes furent identifiées dans le gène thyA. Les séquences nucléotidiques de cinq autres gènes de la voie de synthèse du folate et de la thymine (dfrA, folC, folP1, folP2, et thyX) ainsi que de 3 gènes encodant des N-acétyltransférases (nhoA, aac1 et aac2) furent également analysées mais aucune mutation associée à la résistance au PAS n’a pu être mise en évidence. L’utilisation de techniques bioinformatiques de prédiction structurelle révèle que les mutations identifiées affectent soit la structure soit le site fonctionnel de ThyA. L’étude des profils de croissance des organismes résistants au PAS nous permit de constater que les organismes porteurs d’une mutation de la protéine ThyA présentent un profil de croissance constant en présence de concentrations croissantes de PAS. Les organismes résistants au PAS possédant une protéine ThyA sauvage répondent, quant à eux, aux concentrations croissantes de PAS de façon dose-dépendante, indiquant que le(s) mécanisme(s) alternatif(s) de résistance au PAS est (sont) dose-dépendant(s).

La thymidylate synthase est également une des cibles du 5-fluorouracil (5-FU), l’agent chimiothérapeutique le plus largement utilisé pour le traitement du cancer colorectal avancé. Etant donné l’augmentation du nombre de souches résistantes de M. tuberculosis, de nouveaux composés anti-tuberculeux sont nécessaires de façon urgente. Ici, nous avons évalué l’efficacité in vitro et in vivo du 5-FU sur M. tuberculosis. La concentration minimale inhibitrice du 5-FU fut déterminée sur une collection de souches cliniques sensibles et multi-résistantes ainsi que sur des mutants spontanés résistants au PAS. Tous les isolats montrèrent une sensibilité au 5-FU à des concentrations allant de 0.4 à 1.8 µg/ml, et ce indépendamment de leur profil de sensibilité/résistance aux agents anti-tuberculeux actuels. Les études in vivo du 5-FU (sur un modèle murin de tuberculose active) montrèrent une efficacité de celui-ci durant les deux premières semaines de traitement puis une perte d’activité à la troisième semaine, vraisemblablement engendrée par les effets secondaires du 5-FU.

L’éthionamide (ETH) est un autre antibiotique de deuxième ligne dont l’utilisation est limitée aux tuberculoses multi-résistantes étant donné les effets secondaires qu’il engendre. Ces dernières années, les études ont montré que l’ETH est un pro-médicament, transformé en forme active par l’enzyme monooxygénase EthA dont l’expression est contrôlée par le répresseur transcriptionnel EthR. Notre étude décrit l’élaboration d’inhibiteur d’EthR capable d’augmenter la sensibilité de M. tuberculosis à l’ETH suite à l’amélioration de son activation. Les composés synthétisés et sélectionnés pour leur capacité à inhiber l’interaction EthR-ADN furent co-cristallisés avec EthR. Les structures tridimensionnelles des complexes furent utilisées pour la synthèse d’analogues capables d’améliorer la puissance de l’ETH en culture. Les molécules les plus prometteuses furent testées sur un modèle murin de tuberculose. Pour un des inhibiteurs d’EthR testés, nous avons montré que sa co-administration avec l’ETH permet une réduction de la dose d’ETH utilisée de 3 fois, pour l’obtention d’une même réduction de charge mycobactérienne pulmonaire. Ce travail démontre la possibilité d’augmenter l’index thérapeutique de l’éthionamide en agissant pharmacologiquement sur le mécanisme régulateur de son activation.

Dans certaines régions du monde, le problème de la multi-résistance devient très présent. Nous avons étudié l’état de la situation à Mourmansk (Fédération russe), une région à haute incidence de tuberculose. La résistance aux antibiotiques et l’épidémiologie moléculaire de la tuberculose furent étudiées sur des isolats collectés en 2003 et 2004 dans cette région. Une extrêmement haute prévalence de tuberculose multi-résistante (MDR-TB) fut constatée à la fois pour les nouveaux cas (primaires) (26%) et les cas précédemment traités (72.9%). Le typage des souches MDR primaires révèle une appartenance au génotype Beijing pour la plupart des isolats (79.8%) et l’homogénéité génétique des souches suggère une transmission active au sein de la population. L’analyse moléculaire des gènes impliqués dans la résistance à l’INH et à la RIF montre la présence des mutations katG codon 315 et rpoB codon 531 chez, respectivement, 98,2% et 76,3% des isolats MDR-TB primaires. La haute fréquence de ces mutations « communes » suggère la possible utilisation de tests moléculaires ciblant spécifiquement ces mutations pour détecter rapidement la plupart des cas de MDR-TB.

Nos travaux illustrent les différentes voies à suivre pour maitriser le problème de la résistance aux antibiotiques : l’élucidation des mécanismes de résistance, le développement de nouveaux médicaments et la détection rapide des cas de résistance.