Résumé : Les fourmis, comme tous les Hyménoptères, sont caractérisées par un mode de détermination du sexe de type haplodiploïde. Les femelles sont issues d’œufs fertilisés et sont diploïdes alors que les mâles se développent à partir d’œufs non fertilisés par parthénogenèse arrhénotoque, et sont haploïdes. A quelques rares exceptions près, le déterminisme de la caste au sein du sexe femelle est réalisé de manière épigénétique : seules les larves diploïdes les mieux nourries et/ou celles produites après le repos hivernal se développent en femelles sexuées (reines), les autres en femelles non reproductrices (ouvrières). Récemment, plusieurs travaux ont montré que les reines de quelques espèces de fourmis sont capables de maximiser leur succès reproductif en exploitant de manière conditionnelle la reproduction sexuée et asexuée. Alors que les ouvrières sont produites à partir d’œufs fertilisés par reproduction sexuée classique, les jeunes femelles reproductrices sont issues d’œufs diploïdes produits par parthénogenèse thélytoque et sont, par conséquent, génétiquement très similaires à leur mère. L’espèce Cataglyphis cursor est le premier modèle chez lequel cette stratégie reproductrice a été mise en évidence (Pearcy et al., 2004b). Les sociétés de C. cursor sont strictement monogynes, les reines sont hautement polyandres et utilisent la reproduction sexuée et asexuée pour la production d’ouvrières et de femelles reproductrices, respectivement. La combinaison de la polyandrie et de la reproduction thélytoque permet aux reines de C. cursor d’optimiser le taux de transmission de leurs gènes via des filles reproductrices, tout en assurant une diversité génétique maximale au sein de la force ouvrière. Par ailleurs, les ouvrières de C. cursor ont conservé leurs ovaires et se reproduisent en l’absence de reine. Elles produisent alors des mâles (par parthénogenèse arrhénotoque), des femelles sexuées et des ouvrières (par parthénogenèse thélytoque) (Cagniant, 1973)

Les travaux réalisés dans le cadre de cette thèse de doctorat visent à déterminer si les stratégies reproductrices remarquables exploitées par C. cursor sont propres à l’espèce ou si elles ont évolué au sein de plusieurs espèces du genre. A cette fin, nos recherches s'articulent autour de 2 axes complémentaires. Premièrement, nous avons approfondi l'étude des stratégies reproductrices chez C. cursor en nous concentrant sur deux aspects. (i) Plusieurs hypothèses ont été proposées pour justifier l’évolution de la polyandrie chez les fourmis. Nos travaux ont testé et éliminé trois d’entre elles pour C. cursor : l’hypothèse de la limitation spermatique, celle des coûts des mâles diploïdes et celle selon laquelle une plus grande variabilité génétique des ouvrières améliorerait la division du travail. (ii) Nous avons mis en évidence l’existence d’un contrôle des reines dans le déterminisme de la caste chez cette espèce. Les reines ne produisent des œufs thélytoques qu’au début du printemps, lorsque les ouvrières élèvent les œufs en sexués. Plus tard dans la saison, les reines ne produisent plus que des œufs fertilisés qui se développeront en ouvrières.

Deuxièmement, à titre comparatif, nous avons analysé la structure socio-génétique de deux autres espèces de Cataglyphis : C. sabulosa et C. livida. Ces deux espèces sont monogynes et polyandres. Leurs ouvrières sont capables de pondre des œufs haploïdes mais seules les ouvrières de C. sabulosa ont produits des œufs diploïdes thélytoques. Aucune des reines des deux espèces n’utilisent la parthénogenèse thélytoque pour produire des femelles sexuées.

L’ensemble des résultats obtenus dans notre étude ont été replacés dans une perspective évolutive afin de préciser quand la polygynie, la polyandrie et la thélytoquie seraient apparues dans la phylogénie des Cataglyphis.