Résumé : Première forme de traitement spécialisé pour mineurs délinquants depuis la moitié du 19ème, l’enfermement est, à l’heure actuelle, la réponse qui occupe le devant de la scène politico-médiatique face à la délinquance des jeunes en Belgique. Depuis la fin des années 70, les dénonciations du « manque de places » en régime fermé sont fréquemment relayées. L’augmentation de la capacité institutionnelle est la réponse apportée par les pouvoirs publics. Pourtant, rares sont les connaissances empiriques existantes qui portent sur le fonctionnement « concret » de ces institutions qui allient des missions sécuritaires et éducatives. Maigres sont aussi les productions qui cherchent à dépasser les paroles des intervenants et des jeunes pour saisir « in situ » les modes respectifs de socialisation et les rapports qui interviennent entre ces acteurs.

C’est au regard de ces premiers constats que le projet de thèse de doctorat en criminologie, intitulée « L’enfermement des mineurs poursuivis par la justice. Ethnographie de trois institutions de la Communauté française », a vu le jour. Comprendre le fonctionnement des trois institutions d’enfermement en Communauté française en se basant sur une approche ethnographique paraissait pertinent.

La thèse s’articule autour de trois parties. La première pose le cadre historique et contemporain de l’enfermement en Belgique et présente un bilan critique (recension, synthèse et examen) des connaissances produites sur ces institutions en Communauté française. La seconde explicite les choix méthodologiques empruntés ainsi que les questionnements réflexifs qui se sont imposés durant les immersions. La troisième constitue le véritable cœur de la thèse et présente sept thématiques ressorties suite à l’analyse inductive du matériel d’immersion, suivant le cheminement dans l’enfermement et la progression dans le quotidien institutionnel : la structuration des espaces qui révèle la conception dichotomique de la vie communautaire s’y déroulant avec d’un côté les jeunes, de l’autre les professionnels ; la présentation des acteurs et de leurs modes de socialisation respectifs ; les différents temps du placement : un temps court cadenassé et un temps long qui se doit d’être libéré et rentabilisé ; les rapports entre intervenants et jeunes où l’observation réciproque permet aux uns d’assumer leurs fonctions officielles (sécuriser, éduquer, évaluer), aux autres d’apprendre à être observés et ce faisant de développer des processus de résistance « en coulisse » ; les ressorts de l’humour : rire « entre soi » « des autres » qui permet tantôt la cohésion, tantôt l’exclusion ; des parcours de placement qui mobilisent les équipes et révèlent les limites du régime fermé, les moments particuliers où les enjeux de l’enfermement se dévoilent et des embryons de confiance se décèlent loin du quotidien collectif, loin du regard « des siens » et « des autres ».

Dans cette perspective, les rapprochements entre les jeunes et les adultes, la confiance et le sens qui peuvent en découler pour les jeunes, s’observent particulièrement dans les interstices de l’enfermement, loin des normes rigides qui le gouvernent. Et il apparait que ce sont surtout les missions d’évaluation demandées par les autorités mandantes qui nuisent à la relation de confiance. Cette observation complexifie les réflexions scientifiques antérieures qui mettaient en évidence le caractère paradoxal des objectifs sécuritaires et éducatifs de ces institutions. Ce n’est pas uniquement le « duel » sécuriser / éduquer ou aider mais bien, le « triptyque » sécuriser / éduquer ou aider / évaluer et communiquer qui caractérise la « prise en charge » dans l’enfermement et qui mérite d’être davantage questionné et investigué.