Résumé : Dans une première partie du travail, nous nous sommes intéressés à l'effet de l'acrylamide sur la tumorigénèse thyroïdienne. En effet des chercheurs suédois avaient récemment attiré l’attention de la communauté scientifique sur la présence de ce xénobiotique dans des denrées alimentaires couramment utilisées. Des études antérieures avaient montré que l’acrylamide, administré chroniquement à des rats pendant deux ans, induisait des tumeurs parmi lesquelles les tumeurs thyroïdiennes étaient les plus fréquentes. Pour ces raisons l’acrylamide est considéré comme une substance potentiellement cancérigène pour l’homme. Nous avons voulu investiguer les mécanismes d’action possibles de l’acrylamide dans la tumorigénèse thyroïdienne avec un modèle in vitro et ensuite un modèle in vivo.

Dans le modèle in vitro, nous avons d’abord testé l’effet de l’acrylamide sur les propriétés caractéristiques de la thyroïde, qui pourraient expliquer la spécificité de cette substance pour ce tissu. Dans un premier temps, nous avons donc testé l’effet de l’acrylamide sur l’accumulation d’AMPc (médiateur de la croissance) et sur la génération d’H2O2 potentiellement cancérigène mais nous avons montré qu’aucun de ces deux paramètres n’est modulé suite au traitement des cellules thyroïdiennes. Nous avons ensuite montré que l’acrylamide n’avait pas d’effet sur la prolifération dans les lignées thyroïdienne de rat, un facteur qui aurait pu expliquer l’effet tumorigène de l’acrylamide mais pas sa spécificité thyroïdienne. Nous avons enfin testé en utilisant l’essai comète la capacité de l’acrylamide à générer des cassures au niveau de l’ADN. Ceci nous a permis de montrer que l’acrylamide était capable d’induire des cassures dans l’ADN de lignées thyroïdiennes de rat ainsi que dans des cultures primaires de thyroïde humaines, de chien et de mouton. Afin de déterminer que l’effet observé sur l’ADN était dû à des cassures double brin, nous avons utilisé une technique de détection de l’histone H2AX phosphorylée. En effet, la phosphorylation de cette histone se produit lorsque des cassures d’ADN double brin sont présentes. Les résultats obtenus ne soutiennent pas l’hypothèse que l’acrylamide provoque des cassures double brin. Néanmoins ces dommages à l’ADN sont susceptibles d’induire des mutations qui peuvent jouer un rôle dans le processus de tumorigénèse de l’acrylamide.

Nous avons donc testé l’effet de l’acrylamide sur un modèle in vivo. Pour cela nous avons traité des souris avec de l’acrylamide additionné à l’eau de boisson à des doses comparables à celles administrées aux rats pendant 2, 6 ou 8 mois. Ce traitement a également été combiné avec de la thyroxine (T4) afin de mettre la thyroïde au repos ou avec du méthimazole qui inhibe la sécrétion des hormones thyroïdiennes et par conséquent induit la sécrétion de TSH, ce qui a pour effet de stimuler la glande. Ces traitements modérés ont eu les effets attendus au niveau des taux de TSH et de T4 circulants ainsi que sur la morphologie de la glande. L’acrylamide a eu de faibles effets sur le système nerveux périphérique traduit par une paralysie des membres postérieurs. Par contre nous n’avons pas observé d’apparition de tumeurs dans la thyroïde des souris. La cible thyroïdienne de l’acrylamide chez le rat semble donc spécifique de l’espèce et jette un doute sérieux sur un rôle cancérigène potentiel chez l’homme au niveau thyroïdien.

Dans une deuxième partie, nous avons investigué la réexpression de certains gènes thyroïdiens dans des lignées cancéreuses humaines. En effet nous avons montré au sein du laboratoire que la plupart des lignées thyroïdiennes les plus utilisées avaient perdu les gènes de différentiation spécifiques de la thyroïde. Pour cela nous avons utilisé des agents capables de modifier soit la méthylation de l’ADN comme la 5-aza-2’-déoxycytidine (5-AzadC) soit la compaction de la chromatine comme la trichostatine A (TSA), ce qui a pour conséquence de moduler le niveau d’expression des gènes. Ces traitements ont été utilisés à différentes concentrations, différents temps, seuls ou en combinaison. La 5-AzadC, utilisée seule a permis de réexprimer fortement les gènes Duox1 et Duox2 et faiblement NIS. En combinaison avec la TSA et la forskoline (un activateur de la voie AMPc), nous avons montré une forte réexpression de NIS mais au stade actuel de notre étude celui-ci n’est pas fonctionnel. Ceci montre que les agents modifiant la chromatine peuvent influencer l’expression des gènes de différenciation, cependant nous devons investiguer de façon plus large les différents agents ainsi que les conditions de culture pouvant mener à la réexpression d’un NIS fonctionnel. Grâce à ce traitement différenciant, qui permettrait un rétablissement du transport de l’iodure, un traitement par l’I131 des cancers indifférenciés de la thyroïde pourrait être réenvisagé.