Résumé : Introduction

Les surdités cochléaires induisent, outre une audibilité réduite, une série de distorsions de la représentation neurale des sons. Deux des mécanismes à la base de ces distorsions sont d’une part une atteinte de la sélectivité fréquentielle et d’autre part des zones neuro-épithéliales non fonctionnelles. Tant le premier que le second mécanisme apparaissent dans une proportion variable et non prédictible d’un sujet à un autre. Deux tests permettent le diagnostic de ces atteintes spécifiques: la Courbe d’Accord (Tuning Curve: TC) et le Threshold Equalising Noise (TEN) test. La TC, mesurée par une technique psychoacoustique chez un adulte collaborant (Psychophysical TC: PTC), consiste en la mesure du niveau de bruit (masqueur) nécessaire pour masquer un son pur (signal) de fréquence et d’intensité fixes. Le TEN test consiste en la mesure des seuils auditifs dans le silence et en présence d’un bruit égalisateur de seuil (TEN). Ces tests qui requièrent des capacités cognitives adultes normales, ne sont pas applicables aux populations pédiatriques prélinguales.

Ce travail de thèse avait pour but le développement d’un équivalent objectif et non invasif des TCs et du TEN test applicable aux populations pédiatriques. La méthode objective choisie fut les potentiels auditifs stationnaires ou ASSEPs (Auditory Steady State Evoked Potentials). Les ASSEPs sont une réponse électrophysiologique cérébrale évoquée par un stimulus acoustique de longue durée modulé en amplitude et/ou en fréquence.

Méthodes & Résultats

Etape 1

Les développements méthodologiques ont été réalisés sur l’espèce canine et humaine adulte. Les ASSEPs n’ayant jamais été préalablement enregistrés chez le chien, une première étape à consister à définir chez cette espèce les paramètres d’enregistrement optimaux (modulation en amplitude optimale) dont on sait qu’ils interagissent avec l’état veille-sommeil, avec la fréquence testée et probablement avec l’espèce animale investiguée.

A cette fin, les seuils auditifs obtenus chez 32 chiens à l’aide des ASSEPs ont été validés à cinq fréquences audiométriques par comparaison aux seuils obtenus avec les potentiels auditifs du tronc cérébral évoqués aux bouffées tonales.

Les seuils obtenus aux ASSEPs avec les paramètres optimaux d’enregistrement (légèrement différents des paramètres optimaux humains) étaient similaires à ceux obtenus aux bouffées tonales.

Ces résultats ont été publiés dans Clinical Neurophysiology (Markessis et al., 2006; 117: 1760-1771).

Etape 2

La possibilité de mesurer des TCs à l’aide des ASSEPs (ASSEP-TCs) a été évaluée sur 10 chiens. Les données canines ont été comparées à des données de la littérature, çàd aux TC enregistrées chez d’autres espèces et avec d’autres méthodes. Des ASSEP-TCs ont également été enregistrées chez 7 humains adultes et confrontées aux PTCs obtenues chez les mêmes sujets. Les PTCs sont typiquement energistrées avec un signal sinusoïdal alors que le stimulus utilisé pour évoquer un ASSEP est une sinusoïde modulée en amplitude. L’effet des sinusoïdes modulées en amplitude sur les paramètres qualitatifs et quantitatifs des TCs a donc été évalué en comparant les PTCs obtenues avec un son pur et avec un son pur modulé en amplitude chez 10 humains adultes.

Les résultats ont révélé que les ASSEP-TCs enregistrées chez le chien et l’humain présentaient des paramètres qualitatifs et quantitatifs similaires respectivement à ceux décrits dans la littérature et aux PTCs. Par ailleurs, auncun effet des stimuli modulés en amplitude sur les paramètres des PTCs n’a été démontré.

Ces données ont été publiées dans Ear & Hearing (Markessis et al., 2009, 30: 43-53).

Etape 3

Les ASSEP-TCs ont été validées chez 10 chiens en comparant les données aux TC enregistrées par électrocochléographie (Compound Action Potential TC: CAP-TC). Le masqueur utilisé pour les CAP-TCs est typiquement une sinusoïde alors que le masqueur utilisé pour les ASSEP-TCs est un bruit à bande étroite. Dès lors, une comparaison du type de masqueur (sinusoïde vs bruit à bande étroite) sur les paramètres des CAP-TCs et ASSEP-TCs a été réalisée chez 10 chiens.

Les ASSEP-TCs chez le chien se sont révélées qualitativement et quantitativement similaires aux CAP-TCs quel que soit le type de masqueur. Elles presentaient par ailleurs l’avantage d’être moins variables, plus précises et non invasives par rapport aux CAP-TCs.

Ces données ont été publiées dans International Journal of Audiology (Markessis et al., 2010, 49 ; 455-62).

Etape 4

Afin d’étudier la validité de la procédure à mettre en évidence des changements de sélectivité fréquentielle dus à une atteinte cochléaire, des ASSEP-TCs ont été obtenues chez 10 chiens cochléo-lésés suite à un trauma acoustique. Les Produits de Distorsion Acoustiques, les potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral évoqués par un clic et les ASSEPs à cinq fréquences audiométriques ont été enregisrés afin de délimiter l’étendue de la lésion.

Les ASSEP-TCs ont été fortement altérées, mais pas comme attendu ni suggéré par les mesures fonctionnelles indiquant que le trauma acoustique a créé une lésion différente de celle espérée.

Cette étude doit être poursuivie, des lésions moins importantes créées et une validation histopathologique réalisée.

Etape 5

Le TEN test a été mesuré à l’aide des ASSEPs (ASSEP-TEN) chez 12 adultes et cinq enfants normo-entendants. Les données adultes ont été confrontées aux données comportementales. L’effet des stimuli ASSEP (son pur modulé en amplitude) sur les TEN test a également été investigué en comparant les données comportementales obtenues avec une sinusoïde et avec une sinusoïde modulée en amplitude chez 24 adultes.

Les seuils masqués enregistrés aux ASSEPs étaient supérieurs à ceux mesurés par une épreuve comportementale. L’élévation des seuils masqués pose un problème potentiel de dynamique.

La procédure doit être testée chez des patients présentant une surdité cochléaire attendu que la différence entre les seuils auditifs mesurés aux ASSEPs et par une épreuve comportementale est moindre dans cette population. Dans la mesure où le problème de dynamique résiduelle persiste chez les patients malentendants, d’autres stimuli ou algorithmes d’enregistrement doivent être utilisés.

Etape 6

Le TEN est un stimulus large bande. Il peut dès lors se révéler intolérable chez des patients présentant une atteinte auditive restreinte à une region fréquentielle. L’effet du filtrage du TEN sur les seuils et la sonie du TEN a été étudié chez 24 sujets normo-entendants et 35 patients présentant une perte cochléaire dans les hautes fréquences.

Le filtrage passe-haut du TEN s’est avéré être une solution satisfaisante.

Ces données ont été publiées dans International Journal of Audiology (Markessis et al., 2006; 45: 91-98).

Etape 7

L’effet de l’intensité du TEN sur le diagnostic des zones neuro-épithéliales non fonctionnelles a été investigué chez 24 patients en mesurant les seuils masqués à quatre intensités de TEN différentes. La fiabilité du TEN test a également été évaluée.

Le TEN est une procédure fiable. L’intensité du TEN a affecté le diagnostic chez cinq patients. Ce résultat est interprété en termes de degré de l’atteinte du complexe neurosensoriel.

Ces données ont été publiées dans International Journal of Audiology (Markessis et al., 2009; 48: 55-62).

Conclusion

Un algorithme permettant la mesure de TC et du TEN test objective à l’aide des ASSEPs a été développé. L’implémentation clinique de l’algorithme appliqué à l’enregistrement des CA paraît envisageable. Une importante étape de la corrélation entre modifications anatomiques (à l’aide de l’histopathologie) et physiologiques (ASSEP-TC et CAP-TC) est maintenant celle qui s’impose. Les données préliminaires obtenues sur le TEN test électrophysiologique chez des sujets normo-entendants suggèrent que son implémentation clinique puisse se heurter à un problème de dynamique si ce dernier est confirmé en présence de surdités cochléaires. Plusieurs pistes potentielles de solutions ont été avancées.