Résumé : En milieu naturel, la vie en société implique que de nombreuses actions, activités ou décisions soient réalisées en groupe. Dans la littérature, nous retrouvons un certain nombre de définitions concernant ces décisions collectives, mais très peu de travaux se sont intéressés aux mécanismes gouvernant l'apparition de ces formes de coopération. En particulier, l'étude d'espèces d’arthropodes sociaux ou grégaires a été délaissée au profit des espèces eusociales et des groupes de vertébrés.

Ce travail de thèse repose sur un ensemble d'expériences et de modélisations destinées à approfondir notre compréhension des mécanismes gouvernant les décisions collectives chez les insectes grégaires. Pour mener à bien ce travail, nous avons quantifié les réponses individuelles et collectives chez la blatte Periplaneta americana, dans un milieu caractérisé par la présence de sites de repos (de qualité identique ou différente). Il s'agit de comprendre et de caractériser les différentes dynamiques qui, sur base des préférences individuelles pour les différents sites de repos et des interactions sociales, permettent à l'échelle de la population l'émergence d’un choix collectif, et au niveau individuel, à l’exploitation optimale de son environnement.

Nos résultats ont montré que malgré l'absence de communication ou de perception à longue distance (ex : orientation visuelle, phénomènes de suivi de piste), sans comparaison ni connaissance parfaite du milieu (ex : la localisation et le nombre d’abris ou de congénères) les blattes sont capables de discriminer collectivement entre des alternatives spatialement dispersées et de faire le meilleur choix (associé au maintien de la cohésion). Ce phénomène de choix collectif est un sous-produit des différentes dynamiques agrégatives gouvernées par les compétitions entre processus d’amplification et permet au groupe de résoudre un problème qui est au-dessus des capacités individuelles. Dans nos expériences, cela se manifeste par une double augmentation en fonction de la taille du groupe: (1) un individu tend à s'installer plus souvent dans un site de repos et (2) un individu a plus de chances de se retrouver sous le site de repos optimal. Une analyse plus fine des comportements individuels, rendue possible par l'utilisation de la RFID, a montré qu’au sein des blattes, deux stratégies existaient: les initiateurs et les explorateurs. Enfin, l'utilisation de robots (sociétés mixtes blattes/robots) nous a permis de valider notre modèle théorique mais aussi d’introduire artificiellement des conflits d'intérêt entre les membres du groupes : la présence de ces individus clefs peut modifier la réponse collective de manière dramatique.

Après avoir comparé nos travaux avec la littérature actuelle, nous avons discuté de la valeur générique de tels processus agrégatifs, prérequis essentiel pour la coordination et la synchronisation des activités des individus. L'agrégation constitue une des conditions nécessaires et indispensables à l'apparition d’une vie sociale permettant le développement d’une coopération plus élaborée.