Résumé : Les complexes polyazaaromatiques de ruthéniumII, et en particulier le [Ru(bpy)3]2+, ont fait l’objet de nombreuses études fondamentales en photochimie et photophysique. Du fait de ses propriétés photophysiques, et entre autres grâce à son temps de vie de luminescence relativement long, le [Ru(bpy)3]2+ est devenu un composé modèle en photophysique. Dès les années 1970, et principalement grâce aux travaux de T.J. Meyer, la photophysique du [Ru(bpy)3]2+ a été étudiée en détail afin de permettre l’élaboration d’un modèle photophysique qui peut être valablement étendu aux autres complexes polyazaaromatiques de RuII. La caractérisation du complexe [Ru(bpy)2(dppz)]2+ et de ses interactions avec l’ADN a, elle, promu l’étude des complexes de RuII en présence de biomolécules et a encouragé la recherche pour l’utilisation de complexes de ruthénium comme photosondes en biochimie.

Dans ce cadre, le laboratoire de Chimie Organique et Photochimie de l’ULB s’est attaché au développement de complexes polyazaaromatiques de ruthéniumII se caractérisant par leur capacité à photoréagir avec certaines biomolécules. Ces complexes se caractérisent par l’utilisation de ligands fortement π-déficients, comme le 1,2,4,5,8-tétraazaphénanthrène (TAP). Nettement plus photooxydant que les complexes analogues au [Ru(bpy)3]2+, ces complexes photooxydants sont capables, sous irradiation, de donner lieu à un transfert d’électron depuis la base guanine de l’ADN vers le complexe excité. Les deux entités radicalaires ainsi formées peuvent ensuite réagir entre elles pour former un photoadduit au sein duquel un lien covalent lie irréversiblement un ligand TAP du complexe à la guanine.

Les travaux réalisés dans le cadre de cette thèse de doctorat s’inscrivent dans la poursuite de la recherche effectuée au sein du laboratoire autour de cette photoréaction. Deux axes majeurs ont été développés. Un premier axe de recherche a été dédié à l’étude fondamentale des propriétés photophysiques et photochimiques du photoadduit obtenu suite à la photoréaction du [Ru(TAP)3]2+ avec une base guanine. Cette étude photophysique fondamentale de l’adduit [Ru(TAP)2(TAP-GMP)] (présentée dans le deuxième chapitre) vise à caractériser sa photophysique afin de comprendre comment, sous irradiation, des biadduits entre un complexe de ruthénium et deux guanines sont observés, alors que les premières études réalisées sur les photoadduits indiquent que ceux-ci ne sont pas luminescents. Le second axe de recherche consiste en la mise au point de systèmes élaborés à base des complexes de ruthénium visant à contrôler leur photoréactivité dans un milieu biologique. Pour ce faire, les complexes de ruthénium photoréactifs ont été ancrés sur des molécules biologiques. D’une part, les complexes ont été conjugués sur des OAS, oligonucléotides anti-sens, afin de conférer aux conjugués résultants la possibilité de cibler une partie précise de l’ADN ou d’ARN, et mener, in fine, au blocage de l’expression d’un gène particulier. Ces conjugués ont déjà été étudiés par le passé dans notre laboratoire. Les résultats présentés ici (chapitre 3) permettent à la fois de mieux comprendre la photochimie des Ru-OAS en présence de leur cible spécifique, ainsi que de démontrer in vivo la validité de la stratégie de gene silencing envisagée depuis quelques années. D’autre part, des complexes de ruthénium ont été conjugués à des peptides ou plateformes en vue de leur permettre de pénétrer à l’intérieur des cellules (chapitre 4). Les complexes ne pouvant normalement pas traverser les membranes cytoplasmiques, nous avons démontré que l’ancrage de ceux-ci au peptide transvecteur TAT permet de les vectoriser dans le cytoplasme. Cette incorporation se fait vraisemblablement par endocytose. Lors de ces études, l’importance de la localisation finale du complexe au sein de la cellule a été mise en évidence. Afin de conférer une sélectivité de vectorisation dans des cellules données (pénétration active et selon la présence de récepteurs spécifiques à la surface membranaire), les complexes ont été ancrés sur une plateforme RAFT(RGD)4. Dans ce cas, nous avons démontré qu’une internalisation spécifique dans des cellules sur-exprimant l’intégrine αvβ3 est possible pour les conjugués Ru-RAFT(RGD)4. Finalement, des études ont été réalisées sur les complexes ancrés sur plateforme calixarènique. Les résultats présentés permettent de caractériser ces conjugués Ru-Calix afin d’orienter leur développement avant les études de vectorisation cellulaire. Grâce aux résultats obtenus, un design permettant aux complexes de conserver leur photoréactivité a pu être établi et servira pour les développements futurs. En sus de ces deux axes de recherche principaux, le premier chapitre de résultats et discussions porte quant à lui sur l’étude fondamentale des complexes [Ru(TAP)3]2+ et [Ru(TAP)2(phen)]2+ ; plus précisément, une étude complète du complexe [Ru(TAP)2(phen)]2+ dans l’acétonitrile et le butyronitrile en présence d’un composé calixarènique (développé dans l’équipe du Pr. Ivan Jabin) est présentée. Il appert que l’utilisation du calixarène permet de mettre en évidence des processus photophysiques et photochimiques complexes, qui n’avaient pas été détectés auparavant.