Résumé : La tentative menée ici consiste à s’adresser au travail de William James (1842-1910) afin d’y chercher des moyens pour répondre à un problème qui nous concerne intensément : celui du décret séparant la connaissance et le changement. James nous rend en effet sensibles à la manière dont les conceptions habituelles avaient constamment maintenu un point de vue qui interdisait en principe qu’une idée puisse faire une différence. Il nous permet également de sentir à quel point ces conceptions ne peuvent qu’être profondément désespérantes. Cinq moments vont se succéder. Dans un premier temps, il s’agira, avec James, de nous connecter à la situation déconnectée, de saisir cette situation dans les dispositifs mêmes qui y creusent un gouffre séparant « la pensée » d’une « réalité » qui lui semble étrangère. Cette « saisie » s’efforce de remédier à l’anesthésie face à des conceptions qui produisent le désespoir et l’indifférence (« Se connecter / Situer »). Dès lors qu’est, au moins partiellement, levée la sidération qu’entraînent les versions rationalistes des connaissances, il devient possible de ré-épaissir ce que James appelle les « trois départements » de l’intelligence, ces modes d’expériences qui nourrissent les pratiques concrètes de connaissance. Pour commencer, c’est « agir » qui n’apparaît plus comme une incongruité quand il est question de connaître. La quête de certitudes indifférentes n’est pas tenable : connaître requiert la culture d’une confiance active et collective capable de rendre vraies des idées non-garanties (« Faire confiance / Agir »). Ensuite, c’est à propos des sensations que l’on s’aperçoit combien rien ne justifie de les vider de toute activité et de toute capacité. Cinq contraintes jamesiennes (épaissir, particulariser, pluraliser, relativiser, machiner) sont convoquées pour explorer les possibilités ouvertes à cet égard par un empirisme radical (« Faire le plein / Sentir »). Mais, les sensations ne se distinguant des conceptions que d’un point de vue pratique, les premières ne retrouvent pas des couleurs sans que les secondes n’en fassent autant. Les conceptions sont libérées de l’obligation qui leur était faite de seulement « copier » une réalité supposément toute faite ; prises concrètement, elles apparaissent comme pouvant désigner ces opérations délicates qui permettent aux mondes de déplier de multiples versions. C’est toute une agitation que de concevoir (« Faire des histoires / Concevoir »). Ces opérations jamesiennes (« se connecter », « faire confiance », « faire le plein », « faire des histoires ») ne visent aucunement la révélation d’une « nature » qui définirait la « pensée », mais, au contraire, elles visent l’activation de possibilités inattendues d’inventer des connaissances significatives, particulières et intéressantes. Il apparaît que ces possibilités – c’est l’hypothèse de James – avaient été tout spécialement limitées par l’omission des expériences concrètes de relation. Cette omission s’était accompagnée de la constitution tout à fait effective d’une pensée « privée » (« privée » à plus d’un titre). Il s’agit alors de relayer encore cette autre opération jamesienne – qui irriguait toutes les autres mais qui exige pour finir une attention spécifique –, celle qui consiste à restaurer les expériences de relation et à intensifier l’importance des « marges » et des « radicelles » (« S’associer / Agirpâtir »).