Résumé : L'opinion générale est que les ulcères sont rares pendant l'enfance, les lésions provoquées par Helicobacter pylori (H. pylori) ne se produisant que des décennies après l'acquisition de l'infection. L’infection par cette bactérie est en outre moins fréquente chez les enfants dans les pays développés par rapport aux adultes. Par ailleurs, l’usage chronique de médicaments gastro-toxiques est peu fréquent dans cette tranche d’âge. Cependant, plusieurs études ont montré qu’environ 1/10 des enfants référés pour des symptômes de dyspepsie en Europe et infectés par H. pylori présentent un ulcère gastrique ou duodénal, mais aussi que la fréquence de ces lésions chez les enfants non infectés n’est pas nulle.

Afin de déterminer la fréquence des ulcères gastriques et duodénaux et des érosions, nous avons commencé par réaliser une étude prospective avec la participation de 19 centres répartis dans 14 pays d'Europe. Tous les enfants référés pour une endoscopie haute ont été recrutés durant une brève période de 1 mois. Parmi les 694 enfants inclus, 56 (8,1%) avaient soit des ulcères (ulcère gastrique 17/56, 30% - ulcère duodénal 7/56, 13%) soit des érosions (érosions gastriques 21/56, 37% - érosions duodénales 9/56, 16% - érosions gastriques et duodénales 2/56, 4%). Cette étude a permis de confirmer que la fréquence des lésions augmente avec l’âge, les enfants atteints de lésions étant significativement plus âgés que les témoins. En effet, les lésions ont surtout été observées chez les enfants dans la deuxième décade de vie. Une infection par H. pylori était présente seulement chez 15 des 56 enfants (27%), un médicament gastro-toxique avait été utilisé chez 13/56 (23%), une maladie inflammatoire chronique de l’intestin était présente chez 7/56 (13%) et une polyarthrite juvénile chez 2/56 (4%, plus d'un facteur de risque présent dans la plupart des cas). Aucun facteur de risque n’a pu être démontré chez 24/56 enfants (43%), une proportion beaucoup plus élevée que celle initialement attendue.

Nous avons ensuite réalisé une étude cas-témoins prospective et multicentrique (12 centres participants). Tous les patients avec une lésion érosive ou ulcérée de la muqueuse gastroduodénale ont été inclus avec deux témoins appariés pour l’âge, le centre et la période. Sept cent trente-deux patients (244 cas dont 153 avec seulement des érosions et 91 avec un ou des ulcères, 488 témoins) ont été inclus. Les enfants qui avaient reçu un antibiotique, un inhibiteur de la pompe à proton ou un anti-H2 durant les 4 semaines précédant l’endoscopie ont été exclus de l’analyse statistique parce que ces médicaments influencent la détermination

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du statut H. pylori et la gravité des lésions (42 cas et 98 témoins). Nos résultats montrent que, chez les enfants, l'infection à H. pylori est un facteur de risque pour les ulcères duodénaux et les érosions duodénales, mais pas pour les lésions gastriques. Le sexe masculin, la consommation d'AINS, les maladies rénales chroniques et le tabagisme sont d'autres facteurs de risque indépendants de lésions érosives ou d’ulcères gastroduodénaux. Cependant, aucun facteur de risque identifiable n’a été retrouvé dans une grande proportion d'enfants (97/202, 48.0%) ce qui confirme les résultats de notre première étude.

Chez les adultes également la proportion d’ulcères sans infection à H. pylori et sans prise d’AINS est en augmentation ces dernières années tout en restant plus faible que chez l’enfant. La fréquence des ulcères gastriques et duodénaux avec un diamètre d’au moins 5 mm a été comparée, dans notre centre et dans un centre d’endoscopie adulte situé dans la même région de Bruxelles, sur une période de deux ans. Ces données montrent que les ulcères sont moins fréquents chez les enfants que chez les adultes (20/1279 enfants avec endoscopie haute - 1,6% vs adultes 58/1010 - 5,7%, OR 0,30, 95%CI 0,10-0.86, p = 0,02) et surtout moins fréquemment associés à une infection par H. pylori (8/20 vs 40/58, OR 0,26, 95%CI 0,16- 0.78, p <0,0001).

Comme l’activation de la réponse immunitaire locale est inefficace pour éliminer l’infection par H. pylori et serait plutôt impliquée dans la pathogenèse des lésions de la muqueuse, nous avons comparé la réponse immunitaire muqueuse des lymphocytes T et les réponses naïves chez les enfants et chez les adultes infectés par H. pylori ainsi que chez des témoins non infectés appariés pour l’âge.

Dans une première étude, nous avons obtenu des biopsies de la muqueuse antrale chez 43 patients dyspeptiques (12 enfants, 31 adultes). Les concentrations de cytokines libérées dans le milieu de culture et la densité de cellules CD3+, CD25+ et CD69+ ont été évaluées par cytométrie en flux. Le nombre de cellules sécrétant de l’interféron-γ (IFN-γ), de l’interleukine-4 (IL-4) et de l’IL-10 a été mesuré par ELISPOT. Les données obtenues montrent que l’augmentation de la sécrétion d'IFN-γ et l’élévation du nombre de cellules secrétant de l’IFN-γ au niveau de la muqueuse antrale lors d’une infection par H. pylori sont plus faibles chez les enfants que chez les adultes.

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Dans une seconde étude, nous avons comparé l’infiltrat inflammatoire de la muqueuse antrale dans différents groupes d’âge (moins de 8 ans, 8 à 17 ans, 18 à 55 ans) de patients successifs infectés par H. pylori et des témoins appariés pour l’âge. Nous avons montré une corrélation entre l'âge et la densité de neutrophiles, de cellules CD3+ et de CD8+, mais pas de cellules CD20+. Le recrutement des neutrophiles dans la muqueuse antrale est plus faible chez les enfants et apparaît corrélé avec une plus faible activation du facteur de transcription NF-kB (déterminé par immunohistochimie et par EMSA) dans cette même muqueuse. L’infiltrat inflammatoire et l’activation du NF-kB sont légèrement (mais non significativement) plus intenses en cas d’infection par une souche plus virulente (facteur de virulence cagA). Ces souches cagA+ sont retrouvées en proportion équivalente dans les différents groupes d’âge. Par contre, la charge bactérienne, mesurée par un score semi-quantitatif en histologie, n’influence pas l’intensité de l’infiltrat inflammatoire.

En conclusion : H. pylori reste un facteur étiologique majeur pour les ulcères et les érosions duodénales chez l’enfant, mais pas pour les lésions gastriques dans les pays à faible prévalence de l'infection et la proportion de lésions associées à une infection est plus faible que chez les adultes. Aucun facteur d’exposition connu ne peut être associé aux lésions endoscopiques dans la moitié des cas, ce qui justifiera des études ultérieures pour identifier d’autres causes exogènes ou endogènes à ces lésions.

La réponse immunitaire de l’hôte est impliquée dans la pathogenèse des lésions gastroduodénales associées à une infection par H. pylori. Or il a été démontré dans les travaux faisant l’objet de cette thèse que cette réponse immunitaire est plus faible chez l’enfant que chez l’adulte pour certains facteurs (cytokines Th1, immunité humorale, recrutement des polynucléaires et des lymphocytes au niveau muqueux, activation du facteur de transcription NF-κB). D’autres études confirment la plus faible réponse humorale et Th1, mais également Th17 ainsi qu’une activation plus intense des Treg. Les cytokines ou les voies de signalisation responsables de cette réponse immunitaire plus faible restent inconnues, ce qui ouvre la voie à d’autres investigations.