Résumé : Suite à la montée de l’immigration en Belgique, le rôle que joue la vie associative des personnes issues de l’immigration au sein de l’espace politique a pris une place croissante dans les débats à la fois publics et scientifiques. Selon Fennema et Tillie (1999 ; 2001), une vie associative ethnique florissante constituerait une condition importante pour le développement de la participation politique des membres d’une population ethnique. Si cette hypothèse a été mise à l’épreuve, avec des succès mitigés, dans différents contextes européens et nord-américains, elle ne l’a été que rarement dans une ville telle que Bruxelles, dont certaines caractéristiques sont pourtant susceptibles d’éclairer le débat. L’objectif principal de cette thèse est dès lors d’analyser la situation à Bruxelles, en prenant en considération différentes populations issues de l’immigration et d’éclaircir le rôle que jouent les associations de migrants sur l’intégration politique de ces derniers.

Ce travail s’articule autour de deux questionnements de recherche. Le premier a pour objectif d’apporter des éléments nouveaux quant aux théories existantes portant sur la participation politique et l’engagement civique (capital social) des populations ethniques minoritaires. Il s’agit d’examiner, d’une part, la nature de la relation entre participation associative et politique et, d’autre part, certains processus explicatifs sous-jacents. Le second questionnement vise à fournir de nouvelles informations à propos de différentes populations d’origine étrangère dont la vie associative et politique aura été investiguée. Celles qui ont été choisies dans le cadre de cette thèse relèvent des immigrations, hors Union européenne, les plus nombreuses à Bruxelles. Il s’agit, en l’occurrence, des populations d’origine marocaine, turque et congolaise.

A partir de données quantitatives récoltées en 2009 auprès d’échantillons représentatifs de personnes issues de l’immigration marocaine, turque et congolaise à Bruxelles ainsi que d’un groupe contrôle non-issu de l’immigration, cette thèse apporte des éléments originaux à la fois au niveau théorique et empirique.

D’abord, nous avons pu confirmer le fait que le capital social est un facteur essentiel favorisant le développement de la participation politique, à la fois au niveau agrégé et individuel. De plus, nos résultats montrent également, en particulier au niveau individuel, que le capital social ethnique est un facteur plus important que le capital social multiethnique pour expliquer la participation politique des personnes issues de l’immigration. Contrairement à ce qui est parfois admis, le regroupement communautaire ne pousserait pas à l’institutionnalisation du repli ethnique mais, au contraire, lorsqu’il est organisé sous une forme associative, constituerait un tremplin vers la participation à la vie démocratique du pays d’accueil, offrant ainsi des opportunités civiques remarquables aux personnes qui en font partie.

Ensuite, malgré le large consensus au plan théorique qui existe à propos du rôle médiateur des confiances sociale et politique pour expliquer la relation entre le capital social et la participation politique, nos résultats sont loin d’étayer cette hypothèse : l’accumulation du capital social ne permet pas d’expliquer l’effet mobilisateur des associations bénévoles. Les aspects "non-normatifs" du capital social, tels que l’accès aux informations (politiques) ou aux compétences civiques, par exemple, pourraient être de meilleurs prédicteurs du comportement politique. De plus, pour les personnes issues de l’immigration, peu importe leur origine, leur participation associative est négativement associée à la confiance politique qui, elle, montre un lien négatif avec la participation politique. Cette constatation jette un nouvel éclairage quant au débat relatif aux causes et conséquences des faibles niveaux de confiance politique et étaye les études montrant que la confiance politique n’est pas systématiquement associée à une plus grande participation politique. En l’occurrence, un faible niveau de confiance pourrait augmenter la participation politique dans certaines situations à travers une nouvelle génération dite de "citoyens critiques".

Enfin, bien que nos résultats aient mis en évidence de nombreuses similitudes entre les populations étudiées, nous avons identifié diverses particularités liées aux origines nationales en interaction avec le contexte institutionnel et politique bruxellois, rejoignant ainsi la littérature liée à l’impact des structures d’opportunités politiques ainsi qu’aux spécificités des groupes de migrants pris en considération.