Résumé : Au cours des trente dernières années, bien qu’elle n’ait pas développé de concept spécifique s’appliquant à l’ensemble de son voisinage, la République islamique d’Iran a néanmoins mis en place une « politique régionale » sur une base ad hoc. Cette dernière a varié dans le temps et selon les pays visés. Pendant la période Khomeyni (1979-1989), l’Iran a d’abord mis la priorité sur les relations avec ses voisins musulmans du Moyen-Orient. Son activisme révolutionnaire a cependant eu pour conséquence de l’isoler sur la scène régionale. Face à cette situation, une réorientation était nécessaire. Depuis une vingtaine d’années, en raison de la conjonction de deux facteurs – la dissolution de l’URSS et les répercussions régionales des attentats du 11 septembre 2001 – la politique régionale de l’Iran a pris une importance nouvelle. A ces deux facteurs s’est ajouté depuis décembre 2010 le « printemps arabe » qui n’est pas sans effets pour Téhéran. Pour exercer sa politique régionale, au-delà des moyens diplomatiques traditionnels, la République islamique dispose de trois instruments dont la conjonction est originale : le clergé chiite, les Gardiens de la révolution et les revenus pétroliers. Téhéran s’appuie aussi sur les composantes de son soft power (économie, idéologie, médias). La politique régionale iranienne se déploie dans cinq directions différentes possédant chacune ses caractéristiques : au Sud vers la zone du golfe Persique, à l’Ouest en direction de l’Orient arabe et du Levant, au Nord-Ouest vers la Turquie et le Caucase, au Nord-Est vers les Républiques d’Asie centrale et enfin sur le flanc Est en direction de l’Afghanistan et du Pakistan. Les résultats produits par cette politique sont très divers et varient en fonction de chaque horizon. Parmi ces cinq axes, le plus important reste celui du golfe Persique. La région est vitale pour l’Iran tant du point de vue économique que stratégique. Paradoxalement, c’est dans cette zone que Téhéran se heurte aux plus importantes difficultés, même s’il a réussi à rétablir des liens importants avec l’Irak de l’après Saddam Hussein. Au Levant, qui n’est pourtant pas contigu au territoire iranien, Téhéran a également été très actif. C’est dans cette zone que sa politique régionale a engrangé les résultats les plus spectacu- laires avec la mise en place d’un axe Téhéran-Damas-Hezbollah-Hamas. Au Nord-Ouest, Téhéran a réactivé partiellement son influence dans le Caucase, grâce notamment à ses relations de proximité avec l’Arménie. De nouveaux liens, tant sur le plan politique qu’économique, se sont aussi tissés depuis 2002 avec la Turquie dirigée par le Parti pour la Justice et le Développement (AKP). Au Nord-Est, un horizon nouveau s’est ouvert en Asie centrale depuis 1991. Il reste cependant sous-exploité, notamment dans le domaine économique et surtout énergétique, où Téhéran a été écarté des voies de désenclavement des productions d’hydrocarbures de la mer Caspienne. Sur le flanc Est enfin, la politique régionale iranienne a tiré profit des opportunités nouvelles offertes en Afghanistan depuis 2001. Un rapprochement s’est aussi dessiné avec le Pakistan, même si des difficultés importantes demeurent dans les relations bilatérales. Dans cette zone, c’est toutefois l’incertitude qui domine quant à l’avenir. Dans ce contexte, malgré un investissement politique important et en dépit d’avancées notoires, la politique régionale de Téhéran n’a engrangé que des résultats mitigés. L’Iran a certes établi des relations normalisées avec un grand nombre de ses voisins, mais ces dernières sont rarement marquées par une réelle proximité politique. Les relations commerciales et énergétiques ré- gionales restent sub-optimales au regard du potentiel iranien. Le phénomène récent du « printemps arabe », tout en créant des opportunités nouvelles, menace certaines des réalisations les plus importantes de la politique régionale iranienne, notamment au Levant et dans ses relations avec Ankara. De nombreux obstacles continuent par ailleurs de gêner considérablement l’essor des rapports politiques et économiques de Téhéran avec son voisinage. En limitant sa capacité d’initiative, ils tiennent l’Iran en otage du bon vouloir de ses voisins. En définitive, Téhéran n’aura réussi à tirer que de faibles bénéfices des opportunités offertes par les transformations successives du contexte régional depuis vingt ans.