Partie d'ouvrage collectif
Résumé : « Tout en estimant qu’il est avantageux de laisser au [roi de Ouagadougou] un reflet de son pouvoir passé, je ne crois pas nécessaire de lui rebâtir de nos mains un empire plus fort que celui de ses ancêtres : l’histoire prouve que le chef noir trop grandi tourne fatalement au traître ». Tels sont les propos tenus en 1900 par le chef de bataillon Simonin, Résident de Ouagadougou, à l’endroit du souverain des Mossi centraux, le Moogo Naaba. C’est que trois ans après la prise de la capitale du plus important royaume de l’actuel Burkina Faso, il faut croire que la nature du protectorat imposé par les lieutenants Voulet et Chanoine au roi Naaba Sigiri (1897-1905) continue de poser problème. En effet, ces officiers « soudanais », partisans de la méthode forte et du démantèlement des grands ensembles politiques africains, ont paradoxalement encouragé la création d’une royauté aux apparences d’empire. Ce paradoxe peut cependant facilement s’expliquer. En effet, lorsque le lieutenant Voulet lance ses colonnes à l’assaut du royaume en septembre 1896, la concurrence avec les Britanniques, établis en Gold Coast (actuel Ghana), est vive. Pour les deux parties en présence, le « Mossi », situé à l’intérieur de la Boucle du Niger, est hautement stratégique. Du côté français, son occupation répond au projet de constituer un bloc compact en Afrique de l’Ouest, permettant de relier les colonies françaises de Côte-d’Ivoire et du Dahomey (actuel Bénin) à leur hinterland. Du côté britannique, la réalisation de ce projet paraît inacceptable. Nos deux officiers doivent donc faire vite et prendre de vitesse leurs concurrents malgré l’immensité de la tâche à accomplir : réaliser la conquête d’un territoire d’environ 60.000 km² avec seulement 257 hommes, dont cinq Européens. Le 1er septembre 1896, Ouagadougou est prise quasiment sans coup férir. Le 20 janvier 1897, Voulet et Chanoine établissent un traité de protectorat censé placer au plus vite un maximum de territoires sous l’influence de la France. C’est au cours des mois suivants que les matériaux « ethnographiques » sont réunis et interprétés afin de justifier, aux yeux de la communauté internationale et des Britanniques en particulier, l’annexion et la constitution de la vaste région dite du « Mossi », prétendument homogène, à la tête de laquelle les Français placent un souverain qui n’aurait dû régner que sur le seul royaume de Ouagadougou : le Moogo Naaba. On peut néanmoins se demander si le conflit a réellement pris fin avec le silence des armes. C’est que d’autres terrains d’affrontement existent. Précisément, nous verrons ici dans quelle mesure le rapport de force s’est prolongé, notamment par l’instrumentalisation réciproque du renseignement, de l’histoire et de l’imaginaire du pouvoir au sein d’un espace africain conquis mais non encore soumis deux ans après la prise de Ouagadougou.