par Ferry, Victor
Référence Le fragile et le flou (3 au 5 avril 2014: Université Libre de Bruxelles)
Publication Non publié, 2014-04-04
Communication à un colloque
Résumé : Peut-on avoir de l’empathie pour un personnage hors du commun ? Peut-on partager une expérience exceptionnelle ? Ces deux questions pourraient être au cœur de la problématique de la prise de décision en démocratie.Francis Goyet, dans Les audaces de la prudence (2009), distinguait deux moments de la décision : le consilium (le temps de la consultation) et le judicium (le temps de la prise de décision). Si la consultation permet de garantir le caractère démocratique d’une décision, la nécessité de trancher, plus ou moins urgente selon les enjeux, donne à la prise de décision un caractère plus personnel, voire, autoritaire. L’équilibre de la décision démocratique est précaire.Les approches normatives de l’argumentation (van Eemeren et Grootendorst : 1984) n’offrent pas les outils nécessaires pour apprendre aux citoyens à apprivoiser cette précarité. Il s’agit, généralement, d’identifier des « questions critiques » destinées à maximiser les chances qu’une décision soit prise en connaissance de cause : toutes les options ont-elles bien été examinées ? Que pouvons-nous anticiper de leurs conséquences ? (Walton : 1990). Mais la poursuite d’un idéal où toutes les options seraient rationnellement examinées peut, tout au plus, règlementer le temps de la consultation. Les approches normatives restent dans l’antichambre du judicium.Le modèle rhétorique permet, quant à lui, d’exercer le regard sur une preuve élaborée par et adressée à des êtres de logos, d’émotions et de caractère (Grimaldi : 1957, 1980). Il offre ainsi l’opportunité d’approcher de plus près l’homme décidant. Encore faut-il que le décideur consente à partager son expérience (Sennett : 2010). En 1965, à l’occasion du premier discours sur l’état de l’Union diffusé en prime time à la télévision, Lyndon Johnson concluait par une évocation (Dominicy : 2011) de son expérience de décideur. J’analyserai l’ingénieuse construction de preuves rhétoriques par laquelle il cherche à faire tenir ensemble, d’une part, le caractère exceptionnel de son expérience et, d’autre part, ce que son expérience a de partageable. Ce partage dépend, en outre, de l’instauration d’un cadre épidictique : en « comme si » (Danblon : 2002), les décisions du premier des citoyens trouvent leur fondement dans un sentiment de concorde (Perelman et Olbrechts-Tyteca 1958 [2008] : 69). Reste que, ce sentiment de concorde est sous la menace de deux vieux ennemis : le totalitarisme et le cynisme. C’est alors bien le modèle rhétorique, au service d’une éducation aux preuves et aux genres, qui offre le meilleur outil de la culture démocratique. Travaux cités Danblon, Emmanuelle, 2002, Rhétorique et rationalité. Essai sur l’émergence de la critique et de la persuasion, Bruxelles : Éditions de l’université de Bruxelles.¬¬Dominicy, Marc, 2011, Poétique de l’évocation, Paris : Classiques Garnier.Goyet, Francis, 2009, Les Audaces de la prudence : littérature et politique aux XVIème et XVIIème siècles, Paris : Éditions Classiques Garnier.Grimaldi, William, 1957, « A Note on the Pisteis in Aristotle’s Rhetoric, 1354-1356 » American Journal of Philology », vol. 78, no. 2, 188-192.¬—1980, Aristotle, Rhetoric, I : A Commentary, New York : Fordham University Press.Eemeren, Frans, H. van, Grootendorst, Rob, 1984, Speech Acts in Argumentative Discussions : A Theoretical Model for the Analysis of Discussions Directed Towards Solving Conflicts of Opinion, Dordrecht : Floris Publications.Perelman, Chaïm et Olbrechts-Tyteca, Lucie, 2008 [1958], Traité de l’argumentation, Bruxelles : Éditions de l’université de Bruxelles.Sennett, Richard, 2010, Ce que sait la main. La culture de l’artisanat, Paris : Albin Michel.Walton, Douglas, 1990, Practical Reasoning : Goal-Driven, Knowledge-Based, Action Guiding Argumentation, Savage: Rowman and Littlefield Publishers.Source Lyndon B. Johnson: « Annual Message to the Congress on the State of the Union, » January 4, 1965. Online by Gerhard Peters and John T. Woolley, The American Presidency Project. [http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=26907].