par Nemoz, Sophie ;Wallenborn, Grégoire
Référence (23 et 24 septembre: Université Paris I – Panthéon Sorbonne, Paris), Pour une socio-anthropologie de l’environnement
Publication Publié, 2010
Publication dans des actes
Résumé : Afin de réduire la consommation énergétique des ménages et les émissions de gaz à effet de serre qui s’en dégagent, la plupart des politiques publiques de maîtrise de l’énergie s’appuie sur l’idée qu’il suffit d’introduire une technologie nouvelle moins énergivore, ou une information spécifique (étiquettes énergie, prescriptions…) pour que le public destinataire s’en empare, la fasse sienne et l’adopte, engendrant alors les changements attendus. Cependant, les observations empiriques indiquent que les économies d’énergie réalisées en pratique sont bien moindres que celles escomptées par cette approche qui mobilise les sciences de l’ingénieur, l’économie et la psychologie. La demande en ressources fossiles continue en effet d’augmenter, alors que les particuliers sont censés être mieux informés et équipés pour renverser la tendance. Face à un tel paradoxe écologique, notre communication se donne pour objectif de combiner plusieurs approches de la réalité quotidienne des foyers autour des pratiques impliquant l’usage d’énergie, que ce soit dans la mobilité ou l’habitation. Les modalités de rattachement à une dimension environnementale seront explorées par une démarche empathique à l’égard des dynamiques en jeu. Cette perspective ouverte à la pluralité des modèles de compréhension vise à dépasser l’imaginaire de l’acteur rationnel qui inspire l’action publique et l’amène à considérer les individus comme réfractaires à toute nouveauté, figés dans leurs habitudes énergivores. Du point de vue des attitudes, des motivations et des valeurs sociales, de plus en plus sensibles à la masse de communications nous présentant un environnement qui se transforme de manière menaçante, et dont la cause est notre mode de vie, les « résistances » au changement paraissent relativement incohérentes. Aussi, l’intelligibilité de ce phénomène global incite les chercheurs en sciences humaines et sociales à envisager davantage la multiplicité et l’hétérogénéité des logiques d’action locale et quotidienne. Il s’agit notamment de la théorie des pratiques (practice theory) qui met l’accent sur la diversité des éléments sous-jacents : les petits objets et les grandes évolutions sociotechniques, les normes occidentales d’une société consumériste et les représentations familiales du bien-être, les compétences individuelles et les sentiers de dépendance sociétale. Il y a là matières à une socio-anthropologie qui reste encore largement à construire. Pour participer à ce vaste chantier, nous nous attachons dans un premier temps à parcourir l’étendue des différents cadres d’analyse qui coexistent autour des usages énergétiques de la vie de tous les jours. L’enjeu est de savoir si la superposition de plusieurs grilles d’interprétation permet de démêler la complexité et l’enchevêtrement des injonctions qui, aujourd’hui, s’exercent sur les pratiques énergivores de tout un chacun. Que signifie utiliser de l’énergie en pratique ? Comment une unité d’actions faisant appel à des sources d’énergie variée combine des rationalités sans commune mesure (instrumentales, axiologiques, cognitives, institutionnelles) ? Quels arrangements sont trouvés pour se départir ou du moins gérer ces contradictions ? Parmi elles, nous approfondissons dans un deuxième temps la notion d’effets rebonds. D’après les sciences économiques, celle-ci est significative des difficultés contemporaines à infléchir les modes de consommation énergétique ; elle signale que l’amélioration de l’efficacité des équipements produit des économies d’énergie limitées par l’usage accru de l’appareil en question, ou par d’autres usages. A l’échelle macro-économique, ce phénomène contreproductif est essentiellement imputé à la baisse des coûts de l’énergie, consécutive à une meilleure efficience. Néanmoins, l’amplitude des effets pervers demeure très discutée et, peu élucidée sous l’angle micro-économique. En abordant le problème avec le canevas théorique que nous avons précédemment tissé entre les diverses approches des pratiques à usages d’énergie, nous développerons une analyse socio-anthropologique des politiques de changement climatique. L’analyse des processus qui multiplient les pratiques recourant à des sources d’énergie, importe à l’heure où la réponse politique se dirige vers une hausse des tarifications de l’énergie qui, elle-même, pose question pour la justice sociale.