Résumé : Ce premier Cahier du Gremme s’ouvre sur une contribution de Gilles Remy, tirée de la conférence qu’il avait prononcée dans le cadre du premier cycle de conférences consacré aux rapports entre franc-maçonnerie et théâtralité. L’auteur nous invite à une « Lecture maçonnique de La flûte enchantée » lors de laquelle il fait le point sur les significations maçonniques du célèbre opéra de Mozart. Après avoir rappelé les conditions de la genèse de l’œuvre, l’auteur analyse en profondeur plusieurs symboles sous-jacents. Sont ainsi passés en revue le langage musical et sa construction géométrique, où l’auteur montre comment la rythme, instruments et texte s’associent pour exprimer les phases de l’initiation et les principes maçonniques tels que ordo ab chao. Enfin, l’auteur propose une étude approfondie du personnage de Pamina comme figure de l’ « initiée », sur fond des idées philosophiques du XVIIIe siècle et à la lumière de la maçonnerie d’adoption et des idées personnelles de Mozart. Dans le deuxième article de ce volume, Alain Cnudde prend pour fil d’Ariane le concept de théâtralité appliqué à l’institution maçonnique. Afin de saisir la polymorphie de la franc-maçonnerie actuelle, l’auteur propose d’examiner les pratiques rituelles maçonniques en sollicitant plusieurs schémas interprétatifs, parmi lesquels ceux d’Erving Goffman. Au-delà de l’étude de la théâtralité maçonnique dans toutes ses implications, il s’agit d’étudier les rapports de l’Ordre à la société dans laquelle il s’insère. Suivant la métaphore du « monde de l’art », l’article évoque le « moment baroqueux » de la maçonnerie à partir des années 1970, mais aussi le « franchisage » comme type de rapport entre la loge et son obédience. On trouvera ensuite les cinq conférences qui constituaient le cycle 2009-2010. Tout en prolongeant le thème de la théâtralité en maçonnerie, celui-ci est complété par l’étude de la présence de l’ésotérisme dans les différents rituels. Ainsi, un premier article, du professeur Henrik Bogdan, est consacré à l’étude de l’influence de la kabbale dans la formation du grade de maître maçon, telle que formulée dans la théorie d’Arthur E. Waite, en examinant plus particulièrement ses développements dans l’usage de la légende hiramique. Dans son article consacré à la perception de René Guénon dans la maçonnerie contemporaine de langue française, Luc Nefontaine réexamine avec finesse le statut de ce personnage controversé, en tentant de comprendre la manière dont il a pu séduire tant les maçons « déçus par l’agnosticisme, l’anticléricalisme ou la dimension politique de la maçonnerie » que ceux qui s’en revendiquent. Il semble qu’il faille chercher du côté de la justification de la dimension initiatique de la maçonnerie par Guénon, qui a le mérite de susciter le questionnement. L’auteur souligne que, même dans une société comme la franc-maçonnerie dont la vocation est la remise en question des préjugés, les détracteurs de Guénon ne se donnent pourtant guère la peine de l’étudier, voire même de le lire, et que la critique est souvent légère, empreinte de préjugés, insuffisamment construite. En face, conclut l’auteur, « Guénoniens et guénolâtres, qui passent volontiers pour des “ultras”, suscitent en retour l’ire des “antis”, provoquant les mêmes excès, les mêmes aveuglements. Il n’est point facile de raison garder devant la passion suscitée par l’ésotériste de Blois ». C’est encore de la légende hiramique dont il sera question dans l’article de Philippe Langlet. En effet, à travers une fine analyse du rituel de grade de maître, l’auteur met à jour nombre de similitudes entre le culte des reliques et les gestes dévolus au corps de fondateurs de communautés chrétiennes et ceux entourant la figure d’Hiram dans le rituel maçonnique. L’auteur montre que, dans le récit de la légende du maître Hiram — telle qu’elle apparaît dans l’ensemble des versions utilisées, soit une soixantaine de textes —, coexistent deux « trames » dont les sources, bien que différentes, ont en commun le fait d’être enracinés dans la culture chrétienne. La première trame prend pour modèle la Passion de Jésus ; alors que la seconde puise dans les récits hagiograhiques et le culte des reliques tous les détails concernant la disparition, la redécouverte, et divers événements affectant le corps du « maître ». L’article de Jean-Marc Vivenza explore la manière dont la franc-maçonnerie a, dès son origine, intégré des formes de sociabilités fort anciennes. À travers l’exemple de la Savoie, l’auteur rappelle le caractère fondamentalement chrétien de la maçonnerie au 18e siècle et ses rapports étroits notamment avec les confréries de Pénitents. Dans un second temps, l’auteur montre qu’avec la naissance des Tiers Ordres au 19e siècle, la situation s’inverse, marquant un écart de plus en plus grand entre associations catholiques et maçonnerie. Le dernier article de la série nous ramène à la figure de René Guénon, avec la contribution du professeur Bruno Pinchard : « Lignes infinies, grandeurs evanouissantes : Guénon face à Leibniz ». Il s’agit cette fois de réexaminer le refus de la modernité que l’on prête habituellement à Guénon. En effet, à travers l’étude de la lecture guénonienne de Leibniz et des mathématiques modernes, l’auteur montre comment Guénon a pu invoquer la Tradition, non pas « contre la modernité, mais pour comprendre la modernité ». Ainsi, Bruno Pinchard confrontera Guénon à Leibniz, les Etats multiples de l’Être aux « fictions utiles » du calcul infinitésimal. Il estime que « dans ce simple essai sur Leibniz, que constituent les Principes du calcul infinitésimal, Guénon se dévoile et il est partout où on ne l’attend pas et jamais là où un discours convenu l’attend », car l’enjeu implicite de cette controverse est la question de l’initiation : « le maître de l’ésotérisme dévoile alors les principes implicites de son ontologie : une ontologie de l’initiation est toujours une ontologie qui introduit une discontinuité dans un processus. L’ésotérisme enseigne le discontinu à l’optimisme des modernes. L’initiation est toujours une initiation à la discontinuité du monde ». Ce premier Cahier comporte également une seconde partie composée d’articles n’ayant pas fait l’objet d’une conférence dans le cadre du séminaire du GREMME. Ceux-ci explorent la place qu’occupe le secret dans l’histoire et le fonctionnement maçonnique, thème dont l’étude sera prolongée dans le prochain volume des Cahiers du Gremme. Nous devons la première contribution à Céline Bryon-Portet. À travers l’analyse des différentes fonctions du secret au sein de la réalité maçonnique prise dans son ensemble d’une part et de l’importance du silence, composante essentielle du secret dans sa dimension initiatique d’autre part, il s’agit pour l’auteur de circonscrire l’opacité que l’on prête à la franc-maçonnerie et le rôle de cette opacité dans la vie intérieure même de l’homme postmoderne. Nicoletta Casano, spécialiste de l’histoire de la maçonnerie italienne, consacre son article à l’étude des condamnations de la franc-maçonnerie contemporaine, à travers l’exemple de l’Italie. En effet, il apparaît que le secret est à la base de toute condamnation, en raison de l’incapacité des sociétés civiles et religieuses à cerner le sens ésotérique profond du secret maçonnique. Après un bref rappel des condamnations papales de la maçonnerie, l’auteur s’attache plus longuement à la position antimaçonnique présente tant du côté socialiste que du côté fasciste ou nationaliste italien. Le présent volume s’achève sur un article de Stéphane François qui s’attache à l’étude des rapports complexes qu’entretiennent l’ésotérisme traditionnel d’une part et la notion d’ « initiation » d’autre part. Compte-tenu de la confusion qui existe au niveau lexical pour désigner le secret – puisque l’on invoque indifféremment les termes d’ « hermétisme », d’ « occultisme » ou encore d’ « ésotérisme » – l’auteur situe l’origine et la portée de ces différents termes dans le but de « délimiter scientifiquement l’aire de l’ésotérisme ». En effet, il s’agit de comprendre dans quelle mesure la science universitaire peut rendre compte de la « réalité traditionnelle », notamment dans le cadre de l’étude de la franc-maçonnerie.